Catherine Diran, 2008

L’entretien se déroule à Vienne pendant les journées Sang D’encre sur une banquette vert-bouteille, en bordure de la foule qui vient voir les auteurs.

BM : Comment êtes-vous arrivée au roman noir ?
Catherine Diran : J’ai écrit du roman noir parce que la littérature contemporaine française classique me faisait chier. J’adore la littérature mais je trouve qu’en ce moment la littérature est hyper autocentrée. La forme du polar me semble moins refermée, dit plus de choses, donc j’ai eu envie de prendre cette forme là. Même pour parler des gens, je trouve que le roman noir ne cède pas à la tentation de l’espèce de pseudo intimité où l’on raconte ses problèmes de règles, sa facture d’EDF, ça me parait à la fois plus imaginatif, plus ample, plus foisonnant.

BM : Vous venez d’un groupe de pop, Lilicub, le passage de l’un à l’autre s’est-il fait simplement ?
CD : En fait, j’écrivais avant, j’ai écrit mon premier roman en même temps que j’écrivais mon premier album. Et mon premier album a marché, donc je n’ai pas cherché d’éditeur spécialement pour mon premier roman, j’ai fait de la musique pendant longtemps, pendant 10 ans. Et au bout d’un moment, je me suis dit que c’était peut-être deux de mes rêves et que j’avais envie de faire le deuxième, donc j’ai repris l’écriture, j’ai envoyé mon manuscrit et j’ai eu la chance d’être publiée. Maintenant je peux faire les deux.

BM : Kill parade a été écrit il y a longtemps alors ?
CD : Non, non, non, j’avais écrit un autre roman, mais enfin bref, c’était assez mauvais.

BM : Est-ce qu’il y a un choix dans vos deux livres de s’intéresser à un milieu spécifique, le milieu du show-business ?
CD : C’est un milieu d’où je viens, je voulais parler d’un milieu que je connaissais, c’était un point de départ pour pouvoir ensuite tisser d’autres histoires. Ça me semble important que ce soit ancré dans quelque chose d’éprouvé. De plus, le milieu du show-business est un milieu ridicule et vraiment dégueulasse et donc ça se prête bien au polar.

BM : Vous décrivez un monde superficiel.
CD : Absolument superficiel, et aussi surtout très très ridicule, l’industrie du disque est arc-boutée sur des valeurs qui n’existent plus, ils sont incapables de se projeter, et tout ça c’est drôle et grotesque. Le cinéma, je le connais un peu, mais de plus loin, parce que je ne suis pas comédienne, c’était la volonté de parler un peu de la société qui est la société de l’image, c’est pas une nouveauté, hein ! Guy Debord le faisait très bien il y a très longtemps mais là c’est à un tel point, et c’est très bien représenté par les actrices qui parlent tout le temps à la télé et à qui on demande leur avis sur tout, j’avais juste envie de dire que tout ça m’ennuyait profondément.

BM : Le polar est plus souvent du côté des pauvres. Je caricature un peu, mais là c’est du côté d’une certaine bourgeoisie.
CD : Oui ce n’est pas du polar social c’est clair, ou social d’un autre sens. Je crois que je parle de ce que je connais. J’ai grandi à Vienne, je viens du milieu de la petite bourgeoisie, et puis après j’ai une carrière professionnelle qui fait que j’ai la chance d’habiter dans le centre de Paris avec un appartement… il y a des vilenies partout à étudier donc je préfère les étudier là où je connais. Je me verrais pas écrire sur quelqu’un qui habite, je ne sais pas… Si j’ai habité Montreuil, mais j’ai habité dans le coin des riches, donc ça me semblerait totalement hypocrite, et totalement vain.

BM : D’un côté on voit ce milieu de l’image, d’apparence très propre, et de l’autre vous décrivez des crimes très violents…
CD : Oui, il y a ça, et il y a aussi que j’ai un imaginaire très très violent que je n’ai jamais pu… avec des chansons, on peut difficilement être vraiment violent, avec la littérature on peut le faire. Je ne sais pas pourquoi j’ai cet imaginaire violent mais je suis quelqu’un d’extrêmement violent sous mes dehors de femme blonde (sourire)

BM : Dans vos livres, et dans ce milieu décrit, on perçoit une angoisse très forte sur l’image, l’âge, sur le temps qui passe.
CD : C’est assez angoissant non ?, le temps qui passe, c’est angoissant dès qu’on naît, je trouve. Mon personnage est quelqu’un d’horriblement angoissé, d’horriblement névrosé. Je ne sais pas, le temps qui passe, c’est le truc le plus terrifiant, c’est l’idée que les gens autour de soi puissent disparaître, qu’on puisse perdre ses moyens, qu’on ne puisse plus réfléchir, c’est terrifiant. L’idée de vieillir, pas l’idée tellement, moi j’ai passé l’âge où on se dit qu’on va être vieille, j’ai plus 20 ans, je n’ai plus peur de ça… j’ai peur de perdre des gens autour de moi, là j’ai perdu une amie, c’était une de mes amies proches, c’était la première fois, c’était la première de toutes mes copines qui mourrait et je trouve ça terrifiant, ma propre mort me fait moins peur. Mais savoir que petit à petit il y a des gens autour de moi qui vont disparaître, ça me terrifie complètement.

BM : Pour revenir sur le personnage, le choix d’un personnage récurrent, c’est quelque chose qui est venu tôt ou non ?
CD : Oui, j’avais envie de passer du temps avec un personnage et puis de le voir évoluer, j’avais envie de parler de Paris aussi, je trouvais que la forme donnée par Léo Malet était super intéressante et que Paris avait changé et qu’on pouvait en reparler maintenant. Depuis 50 ans Paris a complètement changé, j’avais envie de raconter ça et d’inventer un personnage, et ne pas savoir ce qu’elle va devenir, mais savoir que je vais la retrouver, ça a un côté à la fois rassurant, et un côté super excitant.

BM : J’ai l’impression que vous avez une tendresse pour des personnages qui sont un peu dandys, un peu en décalage, un peu drogués, comme le personnage de Palmer, des personnages qui ne sont pas en révolte, mais qui sont à côté, dans une sorte de décadence.
CD : Mais honnêtement, les personnages qui m’intéressent dans la vie sont les gens comme ça. Palmer c’est un copain, il n’est pas aussi déjanté que dans mon bouquin, c’est un mec qui se prend vraiment pour Brian Ferry, c’est super attendrissant parce qu’il ne sera jamais Brian Ferry, il pourra prendre toute la coke qu’il veut, ça donnera rien mais… c’est un mec qui se voudrait méchant, qui se voudrait rock, mais c’est juste un type sympa, et ce décalage, je trouve ça vraiment génial. Les gens qui sont tout droits, très sûrs et sans décalage, je crois que ça m’ennuie un peu.

BM : C’est un peu eux qui apportent l’humanité dans vos livres. Comme si la solution actuellement était dans une sorte de retrait, de rire de tout ça …
CD : Oui de rire de tout ça, d’avoir une sorte de bienveillance par rapport à ça. Non je n’aime pas du tout ce mot de bienveillance. Oui de rire, de se dire qu’il y a plein de gens bizarres et qui sont stigmatisés par l’image, mais tout le monde essaie de s’en sortir, tout le monde réagit pareil, et qu’on aurait à s’intéresser à… En fait c’est complètement débile ce que je suis en train de dire… (rire) Non j’aime bien ces personnages, dans ma vie, mes amis, c’est des gens comme ça…

BM : Vous parliez de Léo Malet, il y a aussi des références sur la Nouvelle Vague, sur toute cette période là. Alors que vous êtes dans la modernité, il y a quand même cet ancrage dans les années 50, 60. Est-ce que c’est volontaire ?CD : Pas vraiment volontaire, non. Parce que j’ai vu beaucoup de films, parce que j’étais super fan du cinéma et des polars de ces années là, donc je pense que c’est resté, mais c’est incontrôlé.

BM : Au niveau de la forme, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de jeux sur des comparaisons sur des métaphores, sur des assemblages qui ne vont pas ensemble.
CD : C’est à dire ? Ah si il y a un mec qui m’a dit ça déjà, c’est un de mes copains qui m’a dit ça. Il m’a dit « tu en fais trop, c’est un espèce de procédé, tu décales… » mais alors c’est quelque chose que je ne maîtrise absolument pas.

BM : Parce que j’avais l’impression qu’il y avait une idée de collage. Parler d’une humeur comparée à un objet, de parler du ciel en le comparant à une humeur…
CD : Je ne fais pas exprès du tout mais c’est vrai qu’on m’a fait cette remarque déjà.

BM : Les images viennent comme ça ?
CD : Oui, oui.

BM : J’ai l’impression que par rapport à la thématique, ça donne une impression de quelque chose d’assez flou, flottant… Le personnage.
CD : Ouais je pense que ça donne une impression de flou parce que mon héroïne c’est évidemment une projection de moi, et moi j’ai ce rapport à la réalité qui est complètement flou, pour différentes raisons. Je prends des barbituriques parce que je fais des crises d’épilepsie, et du coup je prends des barbituriques depuis très très longtemps et ça me donne une espèce de truc où je ne suis pas tout à fait dans la réalité, je suis à côté de la réalité, et quoi que je fasse quand j’écris ça ressort. La fille est un peu larguée tout le temps… pas vraiment qu’elle est larguée, mais on a l’impression qu’elle n’est pas assise, qu’elle n’est pas debout… ça je pense vraiment que c’est ma façon d’être. Au début je ne me suis pas rendue compte de ça, et après on me l’a dit et je me suis dit est-ce que tu as vraiment envie d’écrire différemment ? de traduire autre chose que ça ? je me suis dit que non, donc j’ai eu envie d’aller encore plus là dedans et de faire une héroïne qui fait un métier d’homme, qui est détective privée, c’est un métier hyperactif et de la garder passive, flottante, c’est vrai qu’elle fait des trucs bizarres…

BM : Il y a eu un changement entre le premier et le deuxième, dans le premier il y avait beaucoup de petits paragraphes, et beaucoup moins dans le deuxième qui est moins morcelé…
CD : Oui en fait c’est parce que quand j’ai envoyé mon manuscrit à mon éditeur, j’étais en retard, donc elle a fait faire des épreuves tout de suite, et la fille qui a fait la mise en forme lui a téléphoné en lui disant, ton auteur elle est gentille mais il y a trop de paragraphes, mon éditeur a dit ben écoute c’est pas grave tu mets tout à la ligne. Et moi j’ai reçu les épreuves, j’ai regardé, je comprenais plus rien de ce que j’avais écris, parce qu’évidemment les paragraphes c’était volontaire, donc j’ai repris le texte avec elle et je lui ai dis bon, écoute ok il n’y en a pas autant mais j’en remets quelques uns…

BM : Donc ce n’est pas une évolution, un choix.
CD : Non, non, entre temps il y a un copain qui m’a dit, tu sais que ça ne se fait pas du tout dans la littérature de sauter des lignes, tu sais que dans la Pléiade, les auteurs ils ne sautent jamais de lignes. Je ne serai jamais publiée dans la Pléiade (rires) mais je m’en cogne.

BM : Justement je trouvais qu’on retrouvait là l’impression au niveau artistique de collages, de morceaux…
CD : Oui mais j’aime ça les collages. Au départ c’était volontaire d’aller à la ligne souvent puis de sauter beaucoup de lignes, mais bon.

BM : Une autre impression que j’ai eue c’est d’avoir lu des romans très colorés… mais je ne sais pas si c’était volontaire ou pas, mais j’ai l’impression d’avoir lu…
CD : Ben tant mieux, hein !

BM : … ça a à voir avec le clinquant, le brillant…
CD : Ouais mais ça fait partie de ces milieux là, donc je l’ai manié à cause de ça. Et puis c’est parce que j’aime les choses vivantes, pour moi la vie ça veut dire la couleur, la couleur en tant que matière.

BM : Ça faisait un peu penser à des tableaux style Pop art ou à des choses comme ça, très…
CD : Oui, oui oui. C’est mon imaginaire qui est comme ça, donc tant mieux si vous avez ressenti ça.

BM : Justement avec l’imaginaire du roman noir, du roman policier, est-ce que vous avez joué avec ces codes là, avec ce personnage de détective…
CD : Pas vraiment parce que j’ai lu beaucoup de romans policiers mais il y a longtemps, quand je me suis mise au roman policier, je n’ai pas pris ça en me disant que j’allais jouer avec les codes, j’ai pris ça comme si j’écrivais un roman normal, je voulais écrire l’histoire de cette fille qui était larguée et qui était détective privée, et donc où il y avait des codes mais je ne les ai pas utilisés, je l’ai pris comme toile de fond plutôt, alors peut-être que maintenant je vais les utiliser mais je ne suis pas sûre, donc ce qui m’intéresse avant tout c’est de décrire l’histoire d’une fille complètement larguée.

BM : Est-ce qu’il va y avoir une suite ?
CD : Oui je suis en train d’écrire le troisième qui se passe dans le XIème arrondissement, c’est l’arrondissement où j’habite et puis je suis en train d’écrire une série polar pour enfant avec un autre écrivain, par contre mon quatrième roman ce ne sera pas un polar.

BM : Le troisième ce sera dans quel univers, ce sera dans un univers proche ?
CD : Alors ce sera, ce sera comment dire (un temps) ça sera dans le XIème, je ne peux pas en dire plus sans raconter la fin…

BM : Vous partez d’un arrondissement au départ ?
CD : Oui, le XIème arrondissement c’est intéressant, là pour le coup c’est un arrondissement où il y a des grands mouvements ouvriers… vous habitez à Grenoble ?

BM : Je connais le XIème un petit peu…
CD : C’est un arrondissement où il y a encore beaucoup de populations différentes, il y a tout un coin qui est arabe en dessous de Belleville, il y a tout un coin qui est chinois, il y a un vieux Paris et puis il y a aussi tous les bobos parisiens qui se trouvent des appartements par là, ça fait un truc assez mélangé qui est intéressant.

BM : Et au niveau de l’écriture vous avez écrit des chansons pour Lilicub, est-ce que la pratique de l’écriture est vraiment différente ? Ou est-ce la même chose mais dans un format différent ?
CD : C’est différent, parce que l’écriture dans une chanson c’est tellement restrictif, déjà il y a la mélodie qu’il faut suivre et puis on peut pas exprimer, par exemple les états d’âme d’une fille larguée… et nous on est deux, c’est de la pop donc il y a beaucoup moins de liberté et on peut dire moins de choses, si dans mon prochain livre j’ai envie de dire des horreurs, je les dis, tant que mon éditrice me suit, je peux dire absolument ce que je veux… Lilicub c’est plus frais…

BM : Dans Lilicub ça ne peut qu’être un peu plus masqué ?
CD : … c’est plus masqué, et puis l’écriture des chansons françaises, c’est pas comme la pop anglaise, dans la pop anglaise on n’est pas tenu à la rime comme ici, c’est plus souple…

BM : Pour finir, comment vous vivez l’univers du roman noir ?
CD : Ben curieusement, je suis dans une maison qui est une maison de polar traditionnelle mais la plupart des gens que je connais sont chez Lattés et sont des écrivains « normaux », ils ne font pas de polars… J’ai connu toute une série de polardeux marseillais, c’étaient les seuls… donc je ne me sens pas tellement faire du polar. Je me sens écrivain. Mais j’ai l’impression qu’il y a une espèce de petite mafia de polardeux… il y a eu un blog comme ça qui a été fermé, Toutou Reporter je ne sais pas quel était l’auteur de polar qui racontait plein de ragots sur le milieu, c’était très marrant son truc, malheureusement c’est fermé, moi j’ai hâte de percer la mafia des polardeux, pour le moment, je ne connais pas très bien.

BM : Merci.
CD : Merci, j’ai un peu répondu comme une brèle mais je vais lire votre revue avec plaisir.

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