La rencontre avec Hannelore Cayre se déroule en deux temps, à deux moments de son entrée dans le monde du roman noir, à chaque fois pendant les journées « Sang d’encre » de Vienne. La première rencontre a lieu suite à la sortie de son premier livre Commis d’office.
BM : Comment êtes-vous arrivée au roman noir ?
Hannelore Cayre : J’ai envoyé un manuscrit par la poste et on m’a collé l’étiquette « roman noir » une fois qu’on l’a lu. J’ai fait un roman qui a été appelé à posteriori un roman noir, c’est l’éditrice à qui je l’ai envoyé qui a dit que ça serait un bon roman noir et elle a collé le mot « noir » dessus, mais ça aurait pu être un roman de société. Le roman policier noir c’est quand il y a quand même une intrigue narrative se plaçant dans le milieu de l’enquête. Et là ce n’est pas exactement ça puisque c’est l’histoire d’un avocat qui raconte comment il est arrivé en prison…
BM : il y a une enquête mais un petit peu à rebours dans l’histoire.
HC: Voilà, mais à priori je n’ai pas cherché à écrire un roman noir…
BM: Pourquoi parler de ce milieu des avocats ?
HC : Parce que je suis avocate pénaliste donc je ne fais que du pénal, et à force de raconter mes histoires aux gens, tout le monde me disait que je devrais les écrire dans un roman. J’avais un agrégat de petites histoires, ainsi le personnage principal est un avocat pénaliste aussi, qui raconte ses galères au présent et au passé puisqu’à la fois il est en prison et il raconte son quotidien dans une maison d’arrêt et à la fois comment il y est arrivé. Parce qu’un avocat en prison, c’est quand même assez curieux …
BM : Avec ce montage parallèle avec d’un côté la prison, de l’autre côté le pénal, est-ce qu’il y avait une volonté de montrer les deux facettes…
HC : bon, j’ai décrit le quotidien de la prison parce que je le connais bien vu que j’y vais souvent… les écrivains de polar ont peu ou pas l’occasion de rentrer en détention, il faut être avocat ou prisonnier et les prisonniers écrivent rarement des livres bien qu’il y en ait quelques uns, j’en ai lu un ou deux et ils ne parlent pas de leur quotidien dans la détention parce qu’une fois qu’ils en sont sortis ils n’ont plus trop envie d’en parler. Donc c’est une vision de l’intérieur que personne ne connaît à part ceux qui y ont été puis les gardiens évidemment qui n’écrivent pas non plus des livres. La vision de l’extérieur, c’est la narration qui voulait ça, c’est l’itinéraire de la transgression de la norme, en fait il raconte comment il est arrivé en prison en tant qu’avocat, pourquoi il a transgressé la norme un jour, parce que pour un avocat c’est assez facile de transgresser la norme dans la mesure où on ne travaille qu’avec des gens malhonnêtes… il ne voit que des gens recherchés, honnis, bannis, il en fait son terreau, c’est son activité professionnelle et il en tire l’argent qui lui permet de nourrir sa famille.
BM : justement ce que je trouve intéressant c’est l’impression d’une limite un peu…
HC : floue
BM : … oui les limites devenaient floues…
HC : Mais la limite est floue, et justement c’est qu’on essaie d’expliquer aux magistrats quand on plaide c’est que la limite est extrêmement floue, un interdit qu’est-ce que ça veut dire ? Il y a des gens qui vont en prison pour avoir fumer des pétards et ceux qui les fument pensent que c’est tout à fait autorisé, et comprennent même pas pourquoi il y a un interdit… comme ça il peut y en avoir des milliers, l’interdit est là où on le place, bon, après il y a des choses qui sont beaucoup plus interdites, tuer est interdit parce que ça porte atteinte à la vie humaine, mais dans le milieu des truands, tuer n’est pas interdit. Quand par exemple, il y a un règlement de comptes et qu’un truand se fait tuer par d’autres truands, ça n’émeut personne donc la norme par rapport à la mort de l’humain, elle se déplace aussi et c’est malheureusement valable dans tout donc la limite est extrêmement floue…
BM : vous vouliez parler de cela avant de commencer le roman ?
HC : Non, c’est venu comme ça, parce que c’est la réalité et puis c’est la vision de la vie dont je suis imprégnée. Il y a des choses qui étaient interdites à une époque et qui ne le sont plus après, il y a des gens qui ont passé leur vie au cachot pour avoir été homosexuel, et aujourd’hui c’est tout à fait autorisé, je veux dire l’interdit est une question d’époque, de contexte, de politique, de tout, bon il y a quelques trucs dramatiquement interdit qui porte atteinte, à la vie, à l’espèce humaine, crime contre l’humanité, pédophilie, ça ce sont des valeurs universelles mais sinon l’interdit par rapport à un trafiquant de stups c’est vachement compliqué…
BM : Est-ce que vous pensiez, connaissant le milieu, qu’il y avait un risque de « technicité », d’une écriture trop descriptive du niveau professionnel ?
HC : Non parce que c’était à moi de ne pas être technique, ce n’est pas un manuel de procédure pénale. Je pense qu’être écrivain c’est justement de vulgariser les choses, de manière à les rendre digestes. C’est vraiment une toile de fond extrêmement lointaine, parfois je parle de textes, mais je choisis ceux qui sont rigolos, genre la quantité de pains donnés par détenus dans une détention, je ne vais pas parler de procédure de mise en liberté ou de lever de mandat de dépôt, tout ça, c’est très compliqué puis ça n’intéresse personne mais les petits trucs comme ça, les petites anecdotes qui sont marrantes…
BM : Comme celle sur la cour européenne des droits de l’homme…
HC : Dans mon nouveau roman, là j’en parle, mais à l’occasion d’un mec dans un commissariat qui tabasse un type qu’il a arrêté, j’ai une petite phrase après sur « la France qui se tire la bourre avec la Turquie en matière de traitements dégradants et inhumains dans ses commissariats » c’est une réflexion du héros, qui est une réflexion que je pourrais faire moi mais ce ne sera jamais plus parce qu’après c’est trop compliqué, parce c’est un roman qui se veut distrayant et rigolo et pas un cours sur les droits de l’homme, c’est pas le but, c’est pas le livre.
BM : On sent une certaine cruauté mais aussi une certaine tendresse pour le milieu dans lequel le héros évolue… est-ce que c’était voulu ?
HC : Non, c’est parce que c’est moi qui ait une certaine tendresse pour le milieu, j’aime bien les détenus, je ne vais pas le cacher, ce sont des gens que je vais voir tout le temps, et j’aime bien, ce sont des êtres humains, quoi ! Vraiment trouver des types qu’on n’aime pas défendre du tout, ça m’est arrivé, je ne sais pas, deux trois fois, pas plus. Il y a des gens qui ont fait des choses atroces mais ça ne veut pas dire que ce sont des personnes haïssables, en tant qu’être humain, quand ils sont derrière la prison, ils sont très pauvres aussi, entre la commission d’un fait et ce qu’on est réellement, il y a plein de choses qui peuvent se passer. Les vrais salauds on les retrouve quand beaucoup d’argent est en jeu en général, pas pour les crimes de sang ni pour les braqueurs, tout ça non, ni dans les crimes sexuels, c’est vraiment dans le très gros trafique de stupéfiants, là il y en a des vraiment très cons et méchants parce qu’ils sont très riches…
BM : Le discours du héros, qui se dit nihiliste, est parfois assez « trash »… vous n’aviez pas peur qu’il soit vu comme raciste dans son discours, ou sexiste…
HC : Non, il n’est pas raciste, son discours…
BM : Je ne pense pas non plus, mais…
HC : Non, je n’ai pas peur du tout. Il y a des gens qui m’épinglent sur le vocabulaire employé parce que c’est vrai qu’il y a des mots que j’emploie qui ne sont pas politiquement corrects, il en demeure pas moins que la réalité du travail c’est que je pense qu’il y a au moins 80 % de la délinquance qui est maghrébine, c’est comme ça, on n’y peut rien, ce n’est pas parce qu’ils sont maghrébins, c’est parce qu’ils sont pauvres, et qu’ils vivent dans les cités. Ils sont les italiens d’aujourd’hui, les russes de demain, parce que demain ce sera l’Europe de l’Est, qui sera pauvre, et qu’après on dira les criminels albanais, roumains, etc., c’est une question de pauvreté sociale, aujourd’hui c’est la classe la plus pauvre, donc c’est celle qui deale, qui « délinque », pas dans tout, pour les crimes sur les enfants, il y en a quasiment pas, par rapport aux français… Dans la prostitution, il n’y a pas beaucoup d’arabes, mais plus des gens de l’Europe de l’Est, dans le deale, il y a quasiment que des arabes, dans les braqueurs il y a à la fois des arabes et des français, etc. donc on trouve à peu près toutes les origines mais spécialisées… Alors autant appelé un chat, un chat, c’est la réalité de la sociologie criminelle aujourd’hui. Si je commence à m’autocensurer, ça ne va plus, non, c’est la réalité, les gens parlent comme ça, puis les groupes sociaux sont extrêmement distincts l’un de l’autre et se revendiquent comme tel, c’est-à-dire un arabe va dire je suis arabe et je travaille avec des arabes, voilà il se revendique comme tel, nous, avocats, on va dire et tu défends qui ?, ha lui il est arabe, lui il n’est pas arabe, ou il est juif, c’est des juifs qui font travailler des arabes parce que c’est souvent le cas, dans certaines délinquances, ce sont des juifs qui font travailler, qui sous-traitent avec des arabes, et qui font très bon ménage, parce qu’ils ont toujours vécu ensemble, qui s’entendent très très bien dans le travail, comme quoi, les conflits, quand il s’agit du boulot, tout le monde les a oubliés. Ainsi le héros vit avec un proxénète albanais, enfin tout le monde s’appelle par son nom quoi, il n’y a aucun problème, hein !, l’appropriation du vocabulaire d’autrui, c’est toujours un peu délicat mais bon…
BM : On a l’impression que le personnage se laisse aller en prison pour aller jusqu’au bout de sa logique…
HC : Moi, j’ai eu besoin de choquer, pas de sortir les choses, je ne pense pas que ce soit ça, j’ai toujours aimé faire de la provo, ça en est totalement, dans mon milieu professionnel, c’est de la provo totale. J’ai toujours été dans la classe, celle qui faisait de la provo, et qui attendait que le truc lui retombe sur le coin de la gueule, mais pas trop pour que ça ne lui tombe pas trop sur le coin de la gueule. Donc là c’est un peu pareil, j’ai fait de la provo dans mon milieu professionnel en écrivant ce livre, et ça me fait beaucoup rire de voir les avocats gueuler parce que il y en a qui prennent ça très très mal, et ça me fait marrer, j’aime pas les gens qui prennent de l’argent aux pauvres ce qui est le cas des avocats, il y a de très gros pourris, qui eux n’ont aucun problème avec le livre, il y en a beaucoup qui m’ont tapé dans le dos en me disant « ouais, il est super ton bouquin, etc. », ils ont aucun complexe, tout va bien, et ça je l’apprécie et puis il y a les avocats, les petits bourgeois qui prennent de l’argent, pas trop mais suffisamment à des familles qui ont pas un rond, ça ce sont les gens que je déteste, parce que prendre vingt milles euros à un trafiquant de stupéfiant, ça n’a pas une grande importance, mais prendre trois milles euros à un pauvre africain qui n’a pas une chance de rester en France pour lui faire des papiers qu’il n’aura pas, ça c’est odieux, ce sont ceux là qui m’épinglent.
BM : C’est parce qu’ils se sentent visés ?
HC: Oui c’est eux aussi qui sont visés. En visant les gros, je vise eux aussi, surtout, je suis pour la taxation des honoraires d’avocat donc évidemment c’est une réflexion très marginale sur le métier…
BM : J’ai trouvé le livre très court, très compact…
HC : Je pense que je ne peux pas écrire plus long, là je viens d’en terminer un qui fait 145 pages et vraiment, je me suis dit allez, il faut pousser un peu mais non il n’y a rien à faire. Bon, il y a des gens qui écrivent long, il y a des gens qui écrivent court, moi, je ne peux pas écrire long, puis je travaille en même temps, je peux pas me lancer dans un long machin, parce que d’abord je me désespérerai assez vite, et puis je travaille toute la journée, j’écris le soir et le matin avant les audiences et le week-end, et j’ai des enfants en plus donc je ne peux pas non plus me permettre d’écrire des pavés, sinon j’écrirais pas…
BM : Ça donne une certaine sécheresse, un côté direct…
HC : Oui, c’est le style aussi, il parait, enfin, je ne sais pas, que le style est assez nouveau, incisif, rapide, etc. C’est ma façon aussi de synthétiser. Parce qu’en audience, on a deux minutes pour ouvrir sa gueule et arriver à défendre quelqu’un, deux minutes, c’est très très rapide, il faut être très synthétique. En fait les magistrats, ils n’écoutent rien, parce qu’ils voient des avocats toute la journée débiter la même chose pour des types qui ont toujours fait la même chose au bout du compte. Il faut trouver la phrase choc qui va tout d’un coup faire lever les yeux à un magistrat, donc c’est une écriture qui est inspiré de ça aussi, de la sécheresse, du terme qui tape…
BM : Est-ce que des auteurs vous ont influencé dans le roman, dans le roman noir ?
HC : Alors, je ne lis pas du tout de roman policier, je ne connais pas du tout ce milieu, je le découvre pendant ces journées, c’est mon premier salon. Je ne lis pas de romans policiers, je lis surtout du classique. Quand j’étais enfant, je ne lisais pas et j’ai rien lu donc je découvre la lecture maintenant et puis je lisais de la sf quand j’étais ado, jusqu’à maintenant je n’ai lu pratiquement que ça. Je n’avais jamais lu ni Balzac, ni Flaubert, et c’est vraiment une découverte, je trouve ça sublime, très très actuel et justement dans mon bouquin, j’en fais état parce que pour moi, ça n’a pas pris une ride, lorsque je lis des écrivains contemporains, franchement par rapport à ça, c’est extrêmement décevant. Quand on ne les a pas lu, c’est une chance finalement, je n’ai jamais lu Proust, le jour où je vais m’y mettre, je pense que ça va être génial, et est-ce que j’aurais envie de lire autre chose après ça ? Sinon je lis beaucoup de livres américains, parce que en fait, j’aime bien la littérature distrayante, la littérature française est assez prise de tête, et ce n’est pas trop mon truc. Il y a deux, trois écrivains français que je trouve absolument géniaux, comme Marie N’Diaye qui est pour moi un très très grand auteur, j’aime bien Régis Jauffret, Rollin, des gens comme ça. Mais le milieu du polar, je ne le connais malheureusement pas. Je le découvre…
BM : En arrivant comme ça dans un festival ?
HC : C’est chouette, ici c’est vachement bien… Je n’ai jamais vu des gens qui achètent autant de livres, c’est incroyable, les gens viennent faire des courses pour un an. Il y a un vrai engouement, de toute façon, en Province, ce n’est pas du tout la même chose qu’à Paris. A Paris, on a son meilleur copain qui habite à trois pâtés de maison, on ne va jamais le voir, ici on fait des kilomètres pour faire des choses, les gens sortent, à Paris, on ne sort absolument pas, c’est-à-dire, l’offre est tellement énorme qu’on finit par ne plus rien faire du tout. J’ai fait des dédicaces dans des librairies, mais vraiment on tourne sur les copains des libraires, parce que sinon personne ne vient…
BM : Et donc maintenant dans les projets, il y a ?
HC : Le manuscrit de mon nouveau roman a été remis vendredi à mon éditrice, maintenant, si elle trouve ça à chier, il faudra que je le réécrive ou que je jette à la poubelle, et si elle trouve ça bien, ben elle le publiera. Après je vais lever le pied un peu, parce que faut que je me retrouve des histoires, parce que j’ai mis tout ce que je savais dans ces deux livres, et j’ai parlé de deux milieux que je connaissais, du droit. Mon personnage, il évolue, il gagne de l’argent, il lui arrive des choses, donc c’est la suite, c’est pas un personnage qui est figé, il vieillit, il acquiert de l’expérience, sa réflexion par rapport aux choses évolue, il a de la mémoire, ça aussi, je ne veux pas que ce soit un héros, genre Maigret qui a chaque fois fait une nouvelle enquête, c’est-à-dire sa maturité vient avec ma maturité à moi, donc je vais attendre un peu qu’il change de milieu, quoi, il y a le droit des affaires que je ne connais pas du tout, et où il y a plein de choses à raconter, mais ça, il me faut les témoignages, que je vive le truc.
BM : Mais toujours avec les mêmes personnages ?
HC : Il a l’air de plaire, alors pourquoi le faire disparaître ? Ce serait dommage, puis un avocat comme personnage dans un polar, en fait, il n’y en a pas beaucoup, il y a des américains mais la procédure américaine est tellement différente, parce que la preuve doit se collecter de chaque côté, et que le magistrat est un arbitre. Il n’y a pas de procédures inquisitoriales comme en France où un magistrat instructeur réunit les preuves, aux Etats-Unis les preuves sont réunies par l’attorney et l’avocat, donc c’est un vrai enquêteur, il fait travailler des détectives, donc il y a beaucoup de choses à dire, en France, on est très spectateur de la procédure pénale parce que c’est le juge d’instruction avec la police qui réunit les preuves, mais bon on a quand même un rôle extrêmement social dans le procès, je pense qu’en Europe, avec cette procédure là, il n’y a pas de précédents d’avocat héros.
La deuxième rencontre se passe un an après, alors que son deuxième livre Toiles de maître vient de sortir.
BM : Pour la suite de l’interview de l’année dernière, pour votre deuxième roman Toiles de Maîtres, je voulais savoir quelle était pour vous la nécessité de reprendre le personnage de Christophe Leibowitz ?
HC : Euh, nécessité, je ne sais pas, les gens ont bien aimé, voilà, on m’a demandé ce qui lui arrive, alors j’ai écrit la suite, tout simplement…
BM : Est-ce qu’il y avait le désir de le mettre encore plus dans la difficulté que dans le roman précédent ?
HC : C’est à vous de me le dire, je ne sais pas s’il est encore plus en difficulté, dans le roman précédent il commençait, il était en prison, donc difficile d’être encore plus en difficulté, là il va mourir, oui, oui, on peut dire…
BM : On peut dire qu’il a une certaine aptitude à se mettre des emmerdements sur le dos…
HC : Oui, parce que sinon, il n’y aurait pas d’histoire. Dans la mesure où c’est un avocat et qu’il n’est pas en train de faire des enquêtes, c’est lui-même qui se met en jeu parce que sinon qu’est-ce qui pourrait bien se passer ? Dans le deuxième j’avais envie de parler de quelque chose de très précis, quand j’écris des livres, j’ai envie de me documenter pour apprendre quelque chose, et là j’avais envie de faire des recherches sur la collaboration et j’ai fait rejoindre les deux, d’un côté l’aventure de mon héros et de l’autre mon désir d’explorer une période de l’histoire de France et ça a fait cette histoire là.
BM : Justement par rapport à la collaboration, est-ce qu’il y a… ? J’ai l’impression que vous travaillez sur l’idée de la pureté, qu’il n’y a pas vraiment d’innocence, mais qu’il y a des impurs qui sont en bas, et d’autres qui sont en haut.
HC : En fait, je travaille sur le côté schizophrène de l’avocat, l’avocat, ce n’est pas sa place de dire ce qui est bien ou pas, et ce qui est moral ou pas, parce qu’il est toujours en défense. Ça commence là-dessus, sur une conversation où il y a une fille qui lui dit « mais comment tu peux défendre des pédophiles, des assassins, etc. ? », c’est un ramassis de conneries que j’entends, et c’est vrai que tout le monde nous dit toujours ça parce qu’on ne peut pas comprendre comment on défend l’indéfendable, c’est simplement parce qu’on n’est pas juges, et il se trouve confronté, par rapport à ses origines, à devoir, justement se positionner face à un collabo donc le juger, c’est impossible, parce qu’il est avocat, donc comment il va se sortir de ça. Ce n’est pas sur la pureté, mais sur l’absolu impossibilité du jugement moral…
BM : Parce que même plus que de le défendre, il semble le trouver sympathique…
HC : Ouais, ouais…
BM : Quand je parlais de la pureté, c’est aussi sur le fait d’avoir choisi des tableaux d’Egon Schiele…
HC : Les tableaux d’Egon Schiele, c’est l’exemple de la pureté entre guillemets, parce qu’aujourd’hui, à une exposition sous le Grand Palais, il y a trois heures de queues sous la pluie pour voir des toiles d’Egon Schiele qu’aujourd’hui on n’aurait plus le droit de peindre Il faut quand même voir qu’Egon Schiele peignait des mineurs de treize à seize ans, les pattes écartés, à poil et que tout le monde s’extasie devant sa peinture, et qu’aujourd’hui un peintre qui ferait ça, on lui jetterait des pierres donc il y a aussi une réflexion à faire là-dessus, je crois…
BM : Lui qui a été vu comme décadent à l’époque…
HC : Oui, il a été emprisonné pour ce qu’il faisait, oui, mais il l’a fait et aujourd’hui on l’admire, c’est très très étrange quand même ce genre de jugement qu’on peut poser sur les choses, c’est encore ne pas juger, c’est pas évident… Juger, ce n’est pas simple.
BM : Malgré tout il y a une différence entre Leibowitz et l’avocat dont je ne me souviens plus le nom qui va défendre des gens un peu plus pourris…
HC : Oui, bien sûr, il y a des avocats… de la justice de classe de toute façon…
BM : Ça me fait penser à une phrase de Chabrol qui disait « il y a des salauds de pauvres et des salauds de riches mais les salauds de pauvres ont quand même plus raison que les salauds de riches »…
HC : Euh… Les salauds de riches font beaucoup de mal en général, qu’est-ce qui est le plus salaud, c’est le type qui va prendre un an parce qu’il a volé un portefeuille à Paris dans le métro ou le type qui ne va rien prendre du tout alors qu’il licencie cinquante personnes en mettant la clé sous la porte un week-end en partant avec les machines, c’est toujours la problématique du monde actuel…
BM : Est-ce qu’il y a une volonté au niveau de la forme de faire un peu « crade »…
HC : Ce n’est pas une volonté, c’est comme ça…
BM : Ça vient direct ou…
HC : Je crois que c’est mon style d’écriture, je ne fais aucun artifice, j’écris comme ça me vient. Peut-être que les lectures que j’ai sont différentes des autres gens et que ça agrémente mes récits, dans la mesure où je lis beaucoup d’écrivains du XIXème, il y a peut-être ce mélange, un mélange à la fois d’argot et de langage extrêmement ampoulé et recherché, voilà c’est peut-être ça mon originalité, mais ça vient peut-être du fait que je sois avocat et que j’ai grandi avec des textes de lois qui sont quand même assez archaïques et que ça influence mon écriture… Quand on lit des arrêts de jurisprudences à longueur de temps, on a une façon de s’exprimer qui est assez synthétique…
BM : Le langage utilisé est assez cru…
HC : Peut-être que la littérature moderne a besoin de ça, le politiquement correct a fait tellement de dégât dans la création que ce soit cinématographique, littéraire. Dans la danse contemporaine, c’est le seul endroit où il n’y a pas de politiquement correct du tout, sinon aujourd’hui, même dans la peinture, ou alors tout est digéré, il y a des gens qui font des choses qui sont choquantes, mais le choquant est digéré à un tel point que…
BM : Ça fait partie du spectacle.
HC : Voilà.
BM : Vu que là il est très très mal Leibowitz, est-ce que son histoire va continuer ?
HC : Le troisième, ça reparlera de lui, parce que tout le monde me demande la suite de ses aventures donc c’est ce que je vais faire, justement je me trouve dans un grand questionnement aujourd’hui… qu’est-ce que je fais ? Est-ce que j’écris encore la suite ? Ça peut être infini cette série, c’est un personnage que les gens aiment bien, que mon éditrice aime bien, que mes confrères adorent et demandent à chaque fois, un autre ! Un autre !, que j’aime bien effectivement parce qu’il est quand même très vivant donc je ne sais pas c’est à vous de me dire, est-ce que je continue ou pas, c’est à vous de me dire… j’en sais rien.
BM : Et au niveau du style, je trouve le second plus délayé, on sent qu’il y a une volonté de digression…
HC : Le premier, ben c’est le premier, c’est un truc que j’ai écrit comme ça rapidement parce que j’avais envie de le faire, et sans aucune idée de travail, le deuxième est un travail, ce n’est pas du tout la même chose, mais le deuxième plait plus au grand public que le premier qui plait plus aux avocats et aux gens spécialisés. Le premier parle plus de la profession, là c’est une aventure loufoque…
BM : On voit plus le personnage principal…
HC : Et il a un corps dans le deuxième, dans le premier, non, c’est plus une fonction. Je ne sais pas, là je vois les gens qui ont lu les deux et me disent vraiment avec véhémence, j’ai préféré le premier ou j’ai préféré le second, c’est peut-être un peu le cas chez tous les écrivains, moi c’est la première fois…
BM : Pour ma part j’ai senti une continuité et en même temps une variation.
HC: J’essaie de ne pas faire pareil.
BM : Quand vous parlez de ce que les gens attendent de vous… vous avez des envies spéciales ?
HC : Moi, je ne sais pas de quoi j’ai envie. Vraiment, c’est la première fois que ça m’arrive, j’ai envie de rien (sourire), je suis sincère, je n’ai plus envie de bosser comme avocat… en fait, j’ai envie de faire de l’image et ça il faudrait qu’on me donne ma chance pour faire un film, j’ai envie de faire des images mais bon on peut pas toujours faire ce qu’on veut. Et le troisième Leibowitz va être en chantier à partir du mois de décembre parce que je vais faire un voyage pour me documenter. Pour le deuxième j’ai voyagé à Vichy et à Colombey-les-deux-églises, j’y suis allé pour voir comment c’était sinon je n’aurais pas pu décrire ça, même en deux phrases, même si ça a l’air succinct comme ça, c’est en exprimant la quintessence de l’endroit, on ne peut pas le faire si on n’est pas allé… Donc là, comme ça va se passer à Cognac, je vais là début décembre et puis je pense qu’une fois que j’aurais fait ma visite sur place, je me mettrai à bosser, ça demande beaucoup de documentations, c’est compliqué ce que j’ai envie de faire donc on va voir…
BM : Il y a donc déjà un petit projet…
HC : Ha oui, oui, l’histoire est montée, le quatrième aussi, après je pense que ça va s’arrêter là, une tétralogie et j’arrêterai… Je ne sais pas. J’en ai deux en tête, je vais faire les deux, même si c’est un boulot et qu’il faut que je me pousse un peu à un moment mais une fois que j’aurais terminé ça, je ferai autre chose…
BM : Votre premier livre a plutôt marché ?
HC : Il parait, moi je suis éberluée par les chiffres, quand un livre est publié à cinq mille exemplaires, on dit qu’il a super bien marché, ça fait soucis… Mais effectivement il a marché comme ça…
BM : Par rapport à l’année dernière où vous commenciez, est-ce que vous sentez une différence dans le fait d’être plus insérée dans le milieu ?
HC : Dans mon institutionnalisation ? non, parce que je suis pas connue, je ne sais pas, je n’ai pas l’impression que les autres écrivains vendent plus que moi, non plus, enfin, il y en a quelques uns qui vendent beaucoup, mais sinon, on est tous à peu près logés à la même enseigne, sauf qu’il y en a qui ont écrit plus de livres. Ce qui a changé, c’est que maintenant, je sais ce que c’est d’être écrivain de polar… De toute façon, je ne vis pas que de ça, donc tout va bien, sinon c’est un milieu super sympathique, quasi exclusivement masculin, pas macho, moi je trouve pas, peut-être qu’il y a quelques cons, mais j’en ai pas rencontrés, les gens sont sympas. J’ai été seulement une fois à un salon de généralistes donc je vois les autres écrivains, et c’est vrai que le côté polar est quand même beaucoup plus sympa que le reste qui se prend la tête, écrire dans la blanche, c’est sûrement plus rémunérateur, et encore, mais ça me tente pas du tout, les gens sont plus mesquins.
J’aime beaucoup le ton et le vocabulaire d’ Hannelore. Elle écrit comme elle parle, elle parle comme elle vit. C’est rafraichissant, drôle, audacieux, et ça tombe bien car elle aborde des sujets difficiles, en clair-obscurs. Bravo Madame !