Extorsion de James Ellroy

Extorsion est une récréation dans l’œuvre de James Ellroy, un livre qui ne cherche pas à rivaliser avec ceux majeurs de l’auteur, ces références de l’histoire du roman noir, du Dahlia Noir à American Tabloïd.
Soit le portrait de Fred Otash, petite frappe qui passe de flic à journaliste, personnage antipathique, raciste, sexiste, homophobe, anticommuniste… comme un spin off qui suit ce personnage déjà vu dans d’autres romans d’Ellroy qui travaille au journal Confidentiel, spécialiste des people à l’époque de Liz Taylor, de James Dean, etc. Le parcours du personnage, la fin graveleuse qui retourne la situation avec un goût limite, Ellroy s’en fout autant que le lecteur, c’est juste pour lui une façon de montrer que le voyeurisme sur les coucheries des stars étaient encore plus violente dans les années 50, 60 alors qu’internet n’existait pas, de montrer que la fascination pour le stupre existait déjà.
C’est avant tout un exercice de style, James Ellroy prend le prétexte de suivre ce personnage pour jouer sur une écriture empruntant aux magazines à sensation, mais aussi aux vieux polars bon marchés, un jeu sur les allitérations, les assonances, les néologismes, l’argot, les onomatopées, les interjections, les rimes internes, le name dropping et l’injure pour phrase. Ça donne l’impression d’être écrit vite par un insomniaque alcoolisé, l’auteur travaille sur un aspect logorrhéique, peu importe si certaines phrases sont d’un style aléatoire, il faut surtout que ça pulse, ce travail sur le rythme finit pas donner une prose crasseuse très musicale.
« Oh, oh ! Quelle maîtrise dans le maniement des mots, quel don du débit et de la diction ! Bondage Bob en reste baba, ébahi, abasourdi derrière la bouteille de Beefeater’s. »
Ou encore.
« Je file du fric à des flics corrompus contre des cafardages sur des homos honteux, des toxicos timorés, des soûlards au bord de la cirrhose. »
Sinon James Ellroy fait un peu son malin, il fait son Paul Auster, son Philippe Roth en se plaçant dans le récit en personnage vil. On voit le côté autoportrait en écrivain qui se vautre dans le pire pour en faire du roman noir, mais ça reste limité même s’il se moque en passant de sa propre image de vieux con réac.
Le personnage explique son travail et comment il écrit, c’est plutôt rare de lire un livre qui donne dès le départ les clés de son style, qui nous dit en avance ce qu’on va lire d’un point de vue formel, qui nous explique au fur et à mesure les secrets de sa fabrication. Cette mise en abyme nous donne l’impression de visiter l’atelier du personnage Fred Otash et par là même de celui de James Ellroy.
« Vulgarisez, vitalisez, et fabriquez furieusement un parler populaire. Faites-le claironner coupablement.
Les romans répugnants d’Ellroy- c’est de mon style qu’ils portent l’estampille. »
Le livre est plutôt court et c’est tant mieux parce que cette écriture de type punching-ball peut se révéler lassante, la répétition des allitérations finissent par devenir too much.
Et les extraits du futur nouveau quatuor de Los Angeles compris dans le livre, hormis le procédé publicitaire douteux (mais qui va avec l’ensemble « tabloïd » du livre), permet de comparer avec la puissance de style d’Ellroy quand il arrête de s’amuser et concentre sa puissance au service du récit, quand il travaille la concision et va à l’essentiel.
Extorsion de James Ellroy, traduction de Jean-Paul Gratias, 2014, Éditions Rivages/thriller

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