Kaïken de Jean-Christophe Grangé

Quand on n’a jamais lu Jean-Christophe Grangé, on ne peut nier commencer Kaïken avec certains à priori, on est prêt à faire face à la grosse artillerie commerciale mais aussi prêt à voir ses préjugés contredits, à être déçu en bien comme on dit en Suisse.
Kaïken est mieux écrit qu’un livre de Maxime Chattam qui boxe dans la même catégorie, c’est un peu moins n’importe quoi, l’ensemble est plus tenu, ce qui n’est pas difficile mais ça ne reste pas grand chose. C’est le genre d’écriture qui doit en foutre plein la vue à chaque mot, ainsi on a le droit à de nombreuses métaphores, la pluie ne tombe pas, elle déchire le ciel, se fracasse, etc. de même l’auteur a un problème avec la lumière qui ne peut jamais juste éclairer, « les phares explosèrent dans l’obscurité », « un halo de lumière frémissait », « les flashs d’un photographe éclaboussaient les murs », etc. Ainsi l’écriture n’a aucune légèreté, elle est censée faire de l’effet, produire du rythme, de la puissance sauf qu’elle est toujours sur le même ton qu’il y ait de l’action ou non, cela ne produit alors que de l’ennui, mais ce n’est pas si différent d’un Antoine Chainas, qui se veut renouveler le genre à la série noire et qui a la même écriture gonflée à la testostérone. Il faut ainsi oser nommer les trois parties du livre : « craindre », « combattre », « tuer ».
Bref ce n’est pas vraiment de la littérature mais passons.
Passons aussi le côté sexiste de l’ensemble qui est en accord avec l’écriture. Le flic héros est un flic violent mais tendre qui va sauver sa dulcinée. Le premier méchant est un intersexe, mais on est loin des gender studies, Jean-Christophe Grangé a constaté que le méchant homosexuel, ce n’est plus très bien vu alors mettons un hermaphrodite, c’est plus à la mode, ce qui lui permet d’écrire cette phrase ultime que je n’ai toujours pas comprise : « Les sexes qui s’entrechoquent au fond de lui sont comme deux disques d’acier au contact, tournant à dix mille tours minutes. » pour expliquer pourquoi le méchant aime provoquer des incendies.
Passons sur l’idée que l’on ne peut échapper à ses gènes (ainsi le personnage de Naoko qui a beau vouloir devenir française ne peut échapper à ses gènes japonais). Disons qu’idéologiquement, c’est assez puant, mais c’est surtout stupide.
Passons sur les multiples invraisemblances qui peuvent parfois faire le charme de ce genre de roman de pur divertissement.
Ce qui est le plus surprenant dans Kaïken, ce n’est pas tant le style poussif et l’ambiance bien viriliste qu’on pouvait attendre mais l’absence d’histoire. Ce n’est pas tant que l’intrigue nous importe, de très grands romans noirs n’ont pas d’intrigues fortes mais ils sont basés sur autre chose, ce qui n’est pas le cas ici.
Ça commence assez vite, on est surpris de savoir à la quatrième page qui est le coupable, on est surpris aussi quand le roman bifurque en son centre sur une autre intrigue, sinon c’est le néant, Jean-Christophe Grangé a eu deux, trois idées vagues, un crime horrible, un classique trauma expliqué à l’arrache, il en a fait deux minces, très minces, intrigues, mais ensuite c’est paresseux, à aucun moment il n’essaie de construire quelque chose, de construire des interactions entre les personnages, de construire du suspens, de mettre en place une scène, de créer une tension quelconque.
C’est essentiellement du remplissage, il ne se passe pour ainsi dire rien, mais un livre de ce genre doit faire ses cinq cents pages pour plaire à l’éditeur et au lecteur, donc on en rajoute, on étale tout ce qu’on peut, c’est long, on s’emmerde profondément. Par contre il s’est documenté sur le Japon, dès qu’il ne sait pas quoi écrire pour faire avancer son livre, c’est à dire toutes les deux pages, il se met à parler du Japon, de son peuple, de sa culture, de son histoire, de ses kimonos, de sa cuisine, de ses jardins zen, ça pourrait faire un décor à la narration, ça pourrait créer un univers, une ambiance mais ce sont juste des pages de description ennuyeuses plaquées à la truelle. De même la présentation de la vie des différents personnages est expédiée comme si on lisait une biographie sur wikipédia, aucun effort pour que ce soit intégrée dans une narration.
Jean-Christophe Grangé ne fait pas un livre, il ne cherche même pas à faire un bon produit de consommation, il ne s’intéresse à aucun moment à ce qu’il écrit, ce livre est juste une grosse arnaque et le plus triste c’est que l’arnaque risque de marcher.
Kaïken de Jean-Christophe Grangé, Albin Michel, 2012

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