Un livre qui inaugure la résurrection bienvenue des éditions L’Ecailler, un livre sur la plongée d’une jeune prof d’italien dans l’enfer d’une classe d’élèves pauvres, sur la violence qu’elle subit de leur part, sur la peur puis la haine qu’elle développe.
L’écriture de Marie Neuser est forte, tendue, rapide avec des phrases qui claquent, un rythme prenant. Elle laisse exprimer la haine de son héroïne sans la retenir, comparant ses élèves à des animaux, à de la merde qui la salit en permanence, ça a l’avantage d’être directe, tripale, remuant elle n’aseptise pas la violence qu’elle ressent ainsi le style est fort mais le propos pose problème. L’idée que ce serait proche d’un récit (en quatrième de couverture est écrit que « tout laisse à penser que certaines scènes dépeintes ne sont pas loin d’être du vécu… ») pourrait désamorcer la critique, comment pourrait-on remettre en cause un vécu ? Sauf que ça reste un roman qui propage un discours qui est loin d’être anodin.
L’héroïne se retrouve dans un monde violent, sexiste, OK, il ne s’agit pas de nier que ça existe mais est gênante la référence au travail d’instit de son père et son parfum de c’était mieux avant (ha le bon temps de l’école communale, de l’uniforme, et à l’époque du pensionnat, ça filait droit, les profs étaient respectés, l’instruction aussi, etc. )
Est gênante aussi cette façon de mettre en exergue une élève modèle, Samira, pour se dédouaner et ainsi enfoncer tous les autres, masses débilitantes et violentes (qui rappelle le Y en a des biens de Didier Super), ça devient vraiment problématique lorsque l’héroïne (l’auteure si c’est du vécu ?) dit refuser toute analyse politique et sociologique.
Ça pourrait être des faits bruts jetés ainsi et le lecteur en fait ce qu’il veut, pourquoi pas ? sauf que Marie Neuser écrit « J’ai donc cessé de croire à tout ça, tout ce baratin sociologique à tendance marxiste qui tend à transformer les bourreaux en victimes. Et de plus en plus, alors que mon visage se marque des griffures de la haine, je n’accepte plus aucune explication, plus aucune excuse. Je crache sur le pardon. Je méprise au plus haut point l’angélisme de bon ton qui voudrait nous faire croire que derrière toutes cette merde, sous les pelures de la connerie et de l’orgueil, dort un bon fond de la bonne petite créature abusée par la Société. » C’est fatigant de lire que si on a une analyse marxiste (mais j’imagine qu’une analyse libertaire ou toute approche sociétale serait critiquée de la même façon) on serait angélique, ignorant que dans certains lieux, à certains moments la violence existe, ce serait angélique de croire que les inégalités sociales, la violence économique produit de la violence entre les individus, surtout dans les milieux les plus pauvres ?
Sans analyse marxiste, sans analyse des rapports de dominations sociaux, culturels et symboliques (bien représentés par cette professeure d’italien fille d’instit mariée à un si gentil libraire, tous deux ne semblent pas connaître Bourdieu), sans analyse de la façon dont est traité le système éducatif dans un système capitaliste on ne peut qu’en arriver à une vision biologique réactionnaire, d’une meute d’animaux, de fauves sans humanité, n’ayant aucune excuse et qu’on peut abattre pour ne plus être dérangés.
Dans un contexte réactionnaire et répressif où se répète à l’envie (et ce en contradiction avec toutes les analyses sociologiques sérieuses) que les jeunes seraient de plus en plus des assassins en puissance qu’il faut enfermer de plus en plus jeune, de plus en plus longtemps, ce livre participe à l’idée que la violence, la petite « délinquance » seraient déconnectées de tout contexte sociale, reprenant la vision d’un Alain Bauer, d’un Finkielkraut, bref de toute la pensée dominante actuelle de droite se diffusant de plus en plus dans une certaine classe moyenne désemparée, représentée par le personnage de ce livre (et de son auteure ?).
Autant relire Racailles de Vladimir Kovlov vu du côté des petites frappes (ces bourreaux que les gauchistes voient comme des victimes), avec un regard sans angélisme, sans complaisance et sans jugement, on en sort remué aussi mais sans cette idée que seule la répression est la seule solution.
Je tue les enfants français dans les jardins de Marie Neuser, 2011, Éditions L’Écailler
Je tue les enfants français dans les jardins de Marie Neuser
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Bonjour Baptiste,
J’ai lu ce roman, très curieuse de lire un auteur dans cette collection, et puis quelle déception! Une impression de lire un manifeste plein de dégueulis et de haine, sans jamais une once d’empathie ou d’analyse. J’ai failli jeter ce livre mais j’en suis incapable. Conclusion, je vais caler une armoire avec…
A bientôt.
Je suis contente de te relire sur ce blog.
Sandra
Bonjour,
je viens de lire ce livre, qui m’a bouleversé. J’y ai trouvé un ton très juste, des constats très réalistes, des phrases qui ne servent plus à cacher les émotions, mais au contraire à les exacerber… C’est le témoignage d’un individu qui n’en peut plus des excuses qu’on trouve à ces élèves, qui vit un enfer constant. Son but n’est pas de jouer au sociologue, mais de témoigner tout simplement.
Conclusion, je vais le mettre bien au chaud dans ma bibliothèque!
Une lectrice heureuse de cette découverte qui l’a profondément ému.
Bon roman avec lequel il faut prendre de la distance. Je trouve aberrant de critiquer ce bouquin sous prétexte qu’il aborde un point de vue soi-disant réac. Non , ce n’est pas un manifeste, ni une pensée de droite. Il faut arrêter de tout mêler à la politique. De droite ou de gauche ou des extrêmes, ils pensent tous la même chose et tout le monde se fout de ces jeunes. C’est une fiction, calmez-vous et cessez de jouer les vierges effarouchées ou les démagos. Ce roman n’analyse pas, il raconte. Un peu comme si vous disiez que Bret Easton Ellis est un psychopathe parce qu’il a écrit American Psycho, votre raisonnement revient au même. J’ai trouvé ce récit excellent et à aucun moment je ne me suis dit : « oh là, ça me gêne… » FICTION…
Je vois qu’au moins ce roman crée des réactions tranchées, ce qui est en soi une qualité. Pour le reste, pour ma part je considère que tout est politique donc je continuerai de mêler tout à la politique. Je sais faire la différence entre la fiction et la réalité, ça n’empêche pas d’avoir un regard sur le monde qu’on décrit, je m’en fous que l’auteure soit réac ou non d’ailleurs. Quand Ellroy qui est un gros réac écrit un livre, on a une vision noire du monde, où tout le monde (et là est la différence entre autres) est pris dans cette violence, il ne juge pas le monde qu’il décrit, il nous laisse libre de penser face à sa vision hallucinée, ce qui fait qu’on peut parfois se demander si l’auteur est réac, nihiliste, anarchiste, d’extrême droite. De même quand Ellis écrit American Psycho il décrit un monde violent, un capitalisme destructeur ou le serial killer devient un personnage dans la norme, sauf qu’Ellis ne juge pas son personnage, il décrit ce qu’il fait, il décrit des actes, nous laisse juger par nous-mêmes ce qu’il fait.
Ce qui me gêne dans ce livre c’est plusieurs choses, d’abord elle a un discours politique à un moment où elle parle de la vision angéliste des gens de gauche, qui est un discours purement réactionnaire avec lequel on peut ne pas être d’accord. Ensuite son personnage de gentille professeure qui aurait voulu être libraire face à une masse de sauvages, jeunes de banlieue, montre une dichotomie simpliste, avec d’un côté les bons, enfants de la classe moyenne intellectuelle, et les méchants, jeunes de quartiers populaires, qui pousse à dire (surtout lorsqu’on n’a plus une lecture politique de la situation, c’est-à-dire si on évacue l’économie, on en vient à la génétique) qu’il y a qu’une solution « la répression, la prison, voir la peine de mort », j’extrapole un peu mais ça va dans ce sens là. On peut refuser cette vision. Et le fait de décrire le personnage d’une seule élève meilleure que les autres, pour mettre en évidence la sauvagerie des autres renforce cette dichotomie de façon malhonnête (une façon de se dédouaner, de dire « non je ne juge pas, j’en sauve une… » mais elle le fait pour enfoncer encore plus les autres).
Je suis désolé mais ce livre, pour moi, est un commentaire politique sur une situation, et ce quelque soit la position de l’auteur (ce qui n’est pas mon problème, je m’intéresse à un livre pas à son auteur), ce serait juste une fiction hallucinée, je n’aurais pas écrit cette critique de cette façon.