J’ai rencontré Marcus Malte au festival « Pas Sérial S’Abstenir » à Besançon, le lendemain d’une soirée alcoolisée et après une partie de pétanque endiablée (n’hésitez pas à passer à ce festival qui se déroule fin mai).
BM : Comment es-tu arrivé au roman noir ?
Marcus Malte : Quand j’ai commencé à écrire des romans ce n’étaient pas des romans noirs au départ. Les premiers n’ont pas été publiés et il se trouve que le premier qui a été publié c’était un polar mais je ne me suis pas dit en l’écrivant que j’allais écrire un polar. J’ai écrit un truc et à la fin j’ai vu que ça ressemblait à un polar mais c’est aussi parce que j’en avais lu pas mal.
BM : Est-ce que tu penses qu’il y a une thématique assez proche dans tous tes livres ?
MM : Moi, je suis incapable d’analyser ce que j’écris, donc s’il y en a une c’est aux lecteurs éventuellement de me le dire. Le seul thème général qui me semble apparaître dans mes romans c’est l’homme, c’est l’humain. Je m’intéresse à tout ce qui touche à l’homme, à travers des histoires relativement différentes à chaque fois, j’essaie d’aller au plus près de l’être humain…
BM : Je ne sais plus qui a dit que le roman noir c’était le roman des perdants, dans tes livres on parle de gens qui sont plutôt des perdants, des gens qui sont en difficulté…
MM : C’est sûr que je raconte plutôt des histoires de losers plutôt que des histoires de héros ou de vainqueurs. Peut-être parce que ces gens-là me touchent plus, leur histoire me touche plus donc je suis plus attiré par l’envie de raconter ça, parce que ce sont des histoires qui, en tout cas pour moi, peuvent m’émouvoir alors j’essaie de faire partager cette émotion à ceux qui vont lire. J’écris sur l’émotion et je cherche l’émotion avant tout.
BM : Il y a souvent dans vos livres, dans Intérieur nord par exemple, quelque chose d’une brisure passée, dans Garden of love aussi…
MM : C’est souvent un peu ça la vie quelque part, si à un moment on va mal c’est souvent parce qu’il s’est passé quelque chose dans le passé qui nous a foutu en l’air d’une certaine manière. Ça peut être des choses très différentes, ça peut être la perte de quelqu’un, ça peut être une action qu’on a faite soi-même et qui nous reste à travers de la gorge, qui nous reste dans le cœur et forcément on ne sort pas indemne de ces histoires-là. Le présent des personnages est souvent expliqué par le passé.
BM : Il y a dans vos livres quelque chose de l’ordre de la tristesse, de la mélancolie…
MM : De la mélancolie, ouais, sans doute que je me trimballe certainement une espèce de petite mélancolie qui transparaît dans mes romans, mais ça, ça doit être dans mon caractère, dans ma nature…
BM : Ce n’est pas un but ?
MM : Non je n’ai aucune intention précise, les choses se font au fur et à mesure que j’écris, ce sont les personnages et les situations qui me dictent ces choses-là, ce n’est pas prévu au départ, il y a rien de prévu.
BM : Il y a des auteurs qui travaillent toujours dans le même sens, alors que toi tu fais de la littérature jeunesse, du noir, des livres longs comme La Part des chiens, des nouvelles dans Intérieur nord, à chaque nouveau livre, on sent un besoin de changer par rapport au précédent…
MM : Oui, j’essaie dans la mesure du possible, de ne pas raconter la même histoire et en tout cas de ne pas la raconter de la même façon. J’ai assez peur effectivement de me répéter, ça ne m’intéresse pas. Donc j’essaie de varier les plaisirs, des textes longs, des textes courts, des textes pour la jeunesse, et puis j’apprends énormément, en essayant comme ça de trouver à chaque fois d’autres manières d’écrire, d’autres types d’histoires. Il y a sans doute un fond commun si on regarde bien mais c’est vrai que j’essaie à chaque fois de ne pas répéter la même chose…
BM : C’est une intention dès le départ, ou tu ne peux pas faire autrement ?
MM : Non, ça fait partie de l’intention… Je sors d’un gros roman noir, j’ai besoin de faire autre chose un petit peu plus petit, pour le projet suivant ce sera sans doute différent, c’est pas évident de se plonger dans un long texte, ou ce genre de choses, ça me fait respirer, ça m’enrichit, il me semble que la littérature est tellement riche, il y a tellement de choses à explorer, que j’ai envie d’explorer plein de voies différentes.
BM : Est-ce que c’est une façon de se créer une sorte de contrainte ?
MM : La contrainte, c’est… je ne sais pas si on peut appeler ça une contrainte, non c’est plus une envie qu’une contrainte… là par exemple j’ai écrit un bouquin qui est une espèce de western pour les adolescents, pour la jeunesse, ça m’amuse, j’avais envie d’un roman d’aventure assez classique, dans ce genre-là, c’est des petits défis que je me lance à moi-même, ça m’amuse d’essayer de voir si je suis capable de faire ça ou pas, et puis encore une fois, tout ça je pense que ça enrichit l’écriture au final. On touche à des domaines différents, à des formes d’écriture différentes…
BM : Pour revenir à la thématique, tes romans sont presque plus des romans d’amour que des romans noirs.
MM : Je pense que je n’écris que des romans d’amour, finalement, si on regarde bien, ce ne sont que des romans d’amours, qui finissent pas toujours bien, c’est sûr. Mais oui, les grands thèmes de la vie, c’est ça, de toute façon, l’amour, la mort, ce genre de choses. Bon après tu te démerdes avec ça. Bon qu’est-ce qui intéresse l’être humain ? qu’est-ce qui le touche vraiment ? c’est l’amour, après autour de ça, on crée des situations, on crée des obstacles à ces histoires d’amour, des choses qui ne marchent pas, mais ça parle de ça, ça parle d’amour. Ça peut être l’amour, ça peut être le manque d’amour, mais finalement tout part de là et tout y revient…
BM : Est-ce que tu sens une progression dans l’écriture entre Carnage constellation, La Part des chiens, Intérieur nord, etc. ? D’un roman noir plutôt classique à une volonté littéraire plus importante…
MM : C’est un peu ce qu’on disait tout à l’heure, c’est la volonté de ne pas toujours faire la même chose, et de ne pas écrire de la même manière, donc je cherche, dans d’autres styles, dans d’autres manières d’écrire, c’est plus ou moins réussi, il y a des choses où je suis plus ou moins à l’aise. Finalement rester dans ce dans quoi on est à l’aise, c’est peut-être de la facilité aussi, je vais donc chercher dans des choses où au départ je ne suis pas forcément très à l’aise et je vais travailler pour y arriver aussi. Donc oui, j’espère que le style n’est pas à chaque fois le même, et puis le style s’adapte. Du style chez moi, en tout cas de la forme va plus ou moins dépendre le fond, donc je suis un peu obligé de changer la forme pour que le fond change aussi.
BM : Tu veux dire que pour La Part des chiens, une écriture plus baroque a amené cet univers et que pour Intérieur nord c’est parti sur une écriture simple, rapide ?
MM : Oui voilà, quand je me lance dans un truc c’est la façon dont je vais écrire les premières phrases qui vont déterminer énormément de choses, donc quand j’ai écris La Part des chiens, j’avais envie de ce genre d’écriture. Ça dépend de l’humeur dans laquelle on est pour attaquer un bouquin, et quand on a attaqué dans ce style, si ça nous intéresse, on va creuser là-dedans quitte au roman suivant, au recueil de nouvelles suivant à changer complètement, pour voir autre chose…
BM : Dans le dernier roman, j’avais l’impression de quelque chose de très construit à la base, et pas du tout en fait ? Pas tant que ça ?
MM : Ce n’est pas construit, moi je ne construis jamais à la base, ça se construit au fur et à mesure, vraiment. L’histoire s’écrit au fur et à mesure. En l’occurrence pour le dernier, pour Garden of love, j’ai repris après la construction, la structure, une fois que tout a été écrit. J’ai retravaillé la construction, de ce côté-là ça a un peu changé. J’écris au fur et à mesure, je suis à la limite le premier surpris par ce qu’il se passe dans l’histoire, et je suis obligé de m’adapter et c’est ce qui m’intéresse aussi, de m’adapter à ce qui se passe dans l’histoire. Il n’y a pas de plan préétabli, il n’y a rien du tout.
BM : Dans ce livre Garden of love, il y a la question, il me semble de perdre le lecteur ou non à certains moments…
MM : Effectivement, il y avait le « danger » que ce soit un peu trop complexe, que le lecteur ne suive pas. J’y ai pas mal réfléchi mais finalement, j’ai adopté la construction qui me semblait la plus intéressante pour le texte, en me disant que tant pis s’il y en a qui n’accrochent pas, qui ne suivent pas, tant pis. Mais je ne peux pas le faire en fonction de tel ou tel lecteur. Je fais ce qui me semble le mieux, et puis après si ça ne marche pas pour tout le monde, tant pis.
BM : Il faut avoir une confiance à la base, confiance en la capacité de maintenir l’attention ?
MM : Je ne sais pas si c’est une confiance… Mais quelque part je n’ai pas d’autre juge que moi-même. Je peux en discuter avec l’éditeur par exemple, discuter de certains passages, etc. mais au final le juge c’est moi. Si j’estime, à tort ou à raison, que c’est ce que je peux faire de mieux, après le lecteur marche ou pas. C’est un risque…
BM : Est-ce que tu t’es posé la question d’éviter la révélation finale dans Garden of love, de faire en sorte que des lecteurs comprennent à des moments différents ? Que ce soit diffus ?
MM : Tout le travail consiste à essayer de dévoiler certaines choses, pas trop tôt, pas trop tard, mais ça fait partie du boulot de la structure, de la construction. C’est ce qui est intéressant aussi dans ce genre d’histoire, c’est essayer de donner les éléments aux meilleurs moments maintenant effectivement on peut se planter, on peut se tromper et le faire mal. J’ai envie d’intéresser le lecteur, je n’ai pas envie que les gens s’emmerdent en lisant le bouquin, j’essaie de mettre, pas du suspense au sens thriller, mais une espèce de suspense un peu diffus là dedans, j’espère qu’on a envie de connaître la suite, qu’on ait des surprises aussi, etc.
BM : Ce que je trouvais intéressant dans le dernier par rapport à La Part des chiens ou Intérieur nord, c’est qu’il y a une construction par scènes, qui font comme des nouvelles, quand on arrive chez quelqu’un par exemple, des petits détails quotidiens, on retrouve souvent dans ce livre des détails, des petites choses.
MM : Oui souvent ce sont ces petites choses-là qui donnent un aspect réel même si c’est faux, un aspect réel à certaines scènes, une certaine étoffe. Je pense que par rapport à ce que je te disais sur le côté humain, je pense que ces petites touches au final font le tableau. Comme les impressionnistes puisqu’on parle de touches, ça fonctionne un peu comme ça. Mais ça encore une fois, ce sont des trucs que je fais d’instinct, je ne réfléchis pas, je ne me dis pas, tiens ça, ça va s’intégrer… je le fais parce que ça vient comme ça.
BM : Justement est-ce que t’as l’impression d’avoir trouvé ton style, même si ça fait peut-être un peu prétentieux de dire ça ?
MM : Non, je ne pense pas avoir trouvé mon style, je n’en ai pas l’impression… Encore une fois, s’il doit y avoir des choses qui reviennent, des tics même d’écriture sans doute, je crois que c’est difficile d’y échapper, j’essaie de ne pas trop en avoir. J’ai l’impression qu’il y a une adéquation sur ce qu’on raconte et la façon dont on le raconte, donc selon les histoires que je vais raconter, ce sera un autre style et l’autre style sera adapté à l’histoire, donc je ne sais pas si on peut dire vraiment, moi je n’ai pas l’impression d’avoir un style bien net, bien clair.
BM : Il y a une continuité ?
MM : Oui sans doute, il y a une continuité, mais j’espère que ce n’est pas la même chose à chaque fois.
BM : Sinon peux-tu nous parler de tes influences ?
MM : Vraiment je pense que j’ai des lectures très éclectiques, je lis de tout, pas forcément que du roman noir, loin de là. Si, d’une certaine manière, si, je lis du roman noir mais qui n’est pas classé dans le roman noir mais qui en est à mes yeux. A table on parlait de Cormac McCarthy, par exemple qui n’est pas dans les collections de polar mais bon son dernier si ce n’est pas un polar il faudra m’expliquer ce que c’est (NDLR : au moment de l’entretien, le dernier livre de Cormac McCarthy était Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme). McCarthy c’est un des types qui m’ont beaucoup marqué, des gens comme Giono chez les français, donc ça n’a à priori pas de rapport avec le noir, mais à mon sens, ça en a aussi… Moi j’aime les gens qui ont un style fort, une espèce de souffle, j’ai besoin d’être ému par un bouquin, pas seulement intéressé par l’histoire, j’ai besoin que ça m’émeuve d’une manière ou d’une autre… Des types qui ont une puissance d’écriture comme ça qui, moi, me touche, que j’aimerais bien atteindre un jour.
BM : Sinon comment te sens-tu dans le milieu du roman noir ?
MM : Je m’y sens très bien, je fais pas mal de salons, de festivals, les gens que je rencontre sont très souvent des gens sympathiques, déjà, et puis passionnés aussi, par exemple ici à Besançon, tous ces bénévoles qui se mobilisent pour monter un salon comme ça, ça fait plaisir, on sent que ce sont des gens qui aiment ça, c’est agréable.
BM : Est-ce que tu as des projets ?
MM : Ben des projets plus ou moins vagues, le projet le plus urgent j’aimerais bien écrire un livre (sourire) parce que là je fais beaucoup de déplacements pour les ateliers d’écritures, les animations, les rencontres, etc. donc j’ai pas tellement écrit ces derniers temps, ça commence à me manquer, je vais écrire un bouquin, un bon si possible.