Berlin, la seconde guerre mondiale se termine, la ville est une ruine, les Américains, les Russes l’occupent, le héros est un antifasciste allemand passé de camps en camps, il est placé sous les ordres d’un colonel américain à la recherche d’un SS. La description de l’univers concentrationnaire, de l’atroce arbitraire nazi est puissante, précise. Bialot sait montrer simplement le processus de déshumanisation en marche, les individus sont classés en triangle vert, étoile jaune, triangle rouge, rose, etc. suivant qu’ils sont prisonniers de droit commun, juifs, politiques, homosexuels, républicains espagnols, il montre aussi les rapports entre ces prisonniers avec leur logique de survie et la perversion du commandement nazi qui pousse les déportés à s’écraser les uns les autres, il décrit comment on accepte ou résiste à ça. (thème déjà présent dans la Nuit du souvenir, autre grand livre de Bialot). Le livre est centré sur ce personnage qui a traversé l’horreur, qui crache ses angoisses, son dégoût, et reprend contact à reculons avec la vie, on suit son ressassement, sa vision à jamais salie du monde, et aussi sur le Berlin en déroute de 1945, peuplé de fantômes vivants ou morts.
On sent que c’est documenté entre le réseau Odessa d’anciens SS qui s’entraident et certaines missions inavouables des forces alliées en temps de paix. On ne peut pas dire que Bialot s’embarrasse de subtilités sur la construction de l’intrigue proprement dite, ainsi le méchant qui raconte tout quelques pages avant la fin, ce n’est pas ce qui préoccupe l’auteur. Ses yeux se posent sur les ruines, son écriture accompagne les nuits noires du héros. Alors l’intrigue, hein !
L’ambiance semble plus lui importer, ainsi les phrases hallucinées d’un début marquant où l’on a réellement la sensation d’être plongé dans l’eau froide, entouré de cadavre « Je nage. Du moins, j’essaye. Un homme, deux, cinquante, dansent autour de moi, engloutis dans cette valse liquide jamais vue. Les cris sont devenus muets. Les rescapés du naufrage hurlent. C’est certain, ces bouches déployées, ces rictus des faces ne peuvent être que des hurlements. Inaudibles. Les doigts incandescents happent un corps, une tête, un bras, les avalent. Le rideau tombe. Provisoirement. Un nouveau vol de la RAF se pointe. Nouveaux tirs. Nouveaux impacts. Nouvelles fumées. » Bialot travaille le rythme des phrases, leur structure en cherchant le mot juste, la simplicité, ce n’est pas une écriture distante, au contraire, on est dans les pensées, les perceptions du personnage, on est au plus près. Il alterne phrases courtes, faites d’un mot, énumérations plus lyriques, de fréquents changements qui donnent une écriture dynamique, un souffle puissant pour construire un livre qui s’insinue en vous.
186 marches vers les nuages de Joseph Bialot, Éditions Métailié, 2009
186 marches vers les nuages de Joseph Bialot
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Très beau roman noir.
Je découvre votre blog avec un grand plaisir. D’où viennent toutes ces chroniques, nouvelles et autres interviews ? D’un autre site ? Ou bien peut-être dormaient-elles dans un tiroir ou la mémoire d’un PC, attendant leur heure.
Félicitations pour tout ce boulot et longue vie à votre blog.
Merci pour vos commentaires. Non, ces chroniques ne dormaient pas sur un pc, comme je le précisais dans la page A propos, les chroniques jusqu’à 2008 ont été publiées dans la revue et sur le site « Au bord du noir » que je co-animais.