Molosses de Craig Johnson

Molosses est un roman noir sans serial-killer, sans tortures, ni meurtres sadiques, même pas de mystères biotechnologiques, de complots obscurs, tous ces trucs à la mode qui font parfois de très bons romans mais qui sont trop souvent des facilités pour accrocher le lecteur.
On trouve ici une histoire de pouce abandonnée dans un frigo, de jeunes membres du lumpenprolétariat défoncés et à la masse, d’animaux calmes mais pouvant se révéler mordant, des flics fatigués qui veulent raccrocher, une casse de vieilles voitures, des terres recouvertes de neige, on trouve surtout un shérif d’une petite ville du Wyoming qui semble au bout du monde, un shérif qui aimerait seulement arranger les choses entre les gens, qui veut juste que tout se passe bien.
Ce qui frappe ainsi en premier c’est l’humanité de Walt Longmire qui mène l’enquête et qu’on devine aussi chez l’auteur, la mort, le deuil ont un sens, les rapports humains sont plutôt chaleureux et lorsqu’il se retrouve à assister à des meurtres, cela provoque chez lui une réelle tristesse, de la même façon son but n’est pas la vengeance, on le sent toujours embêter de mettre en prison qui que ce soit.
Les flics prennent leur temps pour enquêter comme l’auteur prend son temps pour construire l’intrigue, installer une ambiance.
« Géo était écroulé vers l’avant, une épaule fermement plantée contre le volant, à l’endroit où se serait trouvé le klaxon si la Mercury en avait encore un. Il portait son espèce de casquette avec les rabats remontés, et les deux étaient remplis de neige. La condensation laissée par sa respiration avait gelé sa barbe qui était devenu rigide et le sang qui avait coulé dessus était dilué au point de paraître rose et transparent. De fines stalactites descendaient de son visage tourné vers le sol comme des épines de porc-épic. »
Mais plus que l’enquête, ce qui importe pour Craig Johnson c’est de créer une atmosphère particulière, pour cela il nous immerge dans cet espace où tout semble recouvert de neige, cette neige qui empêche les mouvements, les ralentit. On a presque froid en le lisant.
Ce qui donne un rythme nonchalant au livre mais n’empêche pas l’auteur de savoir raconter avec souffle une scène d’action comme pour cette évasion d’un homme en peignoir, drôle et sombre à la fois.
Le style est classique, mais le vocabulaire riche, précis.
« J’étais à peu près à mi-pente lorsque j’arrivai à une seconde clôture et à un bosquet de pommiers dénudés au pied duquel se cachait un plus petit sentier qui franchissait le bord du ravin et descendait vers la décharge. Enterrée à flanc de montagne, de l’autre côté de ce paradis gelé, se trouvait une vieille porte de cave qui devait être la sortie du tunnel clandestin. »
Ainsi, on a une alternance de descriptions courtes avec de nombreux dialogues pour camper les personnages. L’auteur est doué pour cela, ses dialogues sont vivants, teintés d’humour, se répondent avec finesse et permettent de donner chair à la petite équipe autour de Walt Longmire et aux habitants des Hautes plaines.
« – Walt, je sais qu’il s’est montré assez inoffensif, si on excepte le fait qu’il a tabassé à mort un autre homme avec un club de golf, mais maintenant, il est armé.
– Tu es inquiète pour moi ?
Je ne pus m’empêcher de sourire en écoutant les trépidations de la radio pendant qu’elle courait.
Parasites.
– Oui, connard. J’ai cette image de toi en train d’avancer vers Tweedledum pour lui dire bonjour et lui qui te fait péter les entrailles et les vertèbres.
– Je ferai attention.
Parasites.
– Tu m’emmerdes. »
On sent une grande assurance chez Craig Johnson, il n’a pas besoin d’en faire trop. Il y a une adéquation entre cette intrigue non spectaculaire et ce style à la force tranquille, jamais voyant et pourtant toujours sûr et juste.
Molosses de Craig Johnson, traduit de l’étasunien par Sophie Aslanides, éditions Gallmeister, 2014

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