Marin Ledun, 2013

C’est dans un couloir à l’écart de la foule qui envahit les Quais du polar lyonnais que je rencontre Marin Ledun. Pour cela j’ai dû l’arracher aux nombreux lecteurs lui demandant de dédicacer ses livres. Il répond avec une modestie qui se traduit entre autres par le fait qu’il semble prendre nettement plus de plaisir à parler des autres auteurs que de lui-même.

Première question un peu banale, comment es-tu arrivé au roman noir ?
De manière banale, j’ai écrit un livre et on m’a dit que c’était du roman noir.

Tu l’as écrit en réaction à quelque chose ?
Je faisais de la SF, je militais dans un parti politique que j’ai quitté et je me suis rendu compte après la publication de mon premier roman que je lisais du roman noir depuis que j’étais gamin. Je lisais Erskine Caldwell, ou Hemingway, qui font pour moi du roman noir. Alors que le polar au sens plus classique, je n’en lisais pas, je ne connaissais pas. L’idée était de poursuivre ce qui ne pouvait pas se faire dans le domaine de la recherche parce que j’étais chercheur et probablement très naïf. Depuis je suis bien revenu de mes illusions, du coup le roman c’est un moyen comme un autre de parler du monde, c’est un peu banal comme réponse mais c’est ce que j’essaie de faire.

J’ai l’impression que tu utilises beaucoup de formes différentes, entre des essais avec Bernard Floris et Brigitte Font Le Bret, des romans assez longs ou des romans plus courts comme le dernier qui est paru aux éditions IN8. Est-ce que c’est une envie de changer ou ce sont plutôt les éditeurs qui le demandent ?
Non ce n’est pas ça, je ne suis pas forcément quelqu’un de très simple à vivre au boulot donc je change pas mal d’éditeur. Ensuite c’est le sujet qui détermine un peu le format, sur Nathalie Wood, j’ai écrit 80 pages, je ne vais pas faire un livre de 500 pages, je n’ai pas envie d’être le biographe de Nathalie Wood. Et il y a des sujets un peu plus complexes qu’il faut développer comme pour Les visages écrasés, comme sur la question des bios et nanos, enfin sur les aspects économiques des bios et nanos pour Dans le ventre des mères, là, j’ai envie de prendre du temps. Mais le format est décidé par le sujet et non par l’éditeur.

Au niveau de l’écriture, c’est assez différent entre par exemple Les visages écrasés, où l’intrigue est assez simple et par exemple Dans le ventre des mères où l’intrigue est plus longue qui pourrait correspondre à des romans plus commerciaux.
Oui il y a le roman noir comme La guerre des vanités ou Les visages écrasées ou celui que je vais écrire en janvier sur la torture au Pays basque. Pour ces romans je prends beaucoup de temps pour l’écriture, l’intrigue est peut-être plus simple mais je travaille peut-être plus d’une certaine manière. Et ensuite des bouquins entre temps parce que je m’autorise à écrire un peu de différentes manières y compris d’une manière un peu plus légère sur la forme comme pour Dans le ventre des mères avec les codes du polar à suspense mais c’est juste que je ne peux pas mettre autant d’énergie que je mets dans un roman comme Les visages écrasées ou La guerre des vanités. Je ne peux pas mettre cette énergie là dans tous mes romans. Autant de romans c’est aussi autant d’expériences d’écritures et autant de trucs que j’apprends pour mon métier, parce qu’on ne naît pas écrivain et je n’ai pas fait d’étude pour être écrivain, c’est un truc que je dois apprendre tous les jours et à chaque fois c’est une bonne expérience.

Pour Dans le ventre des mères j’ai l’impression que tu es allé sur le terrain d’auteurs comme Grangé mais avec une écriture plus solide avec cette idée d’un long livre avec poursuites, à la limite du fantastique mais sans le discours réactionnaire et viriliste…
C’est très différent mais je n’ai peut-être pas trouvé la manière de traiter ce sujet sur le terrain du roman noir. C’est un sujet qui est souvent traité dans l’anticipation, dans la SF, mais sur le terrain du polar, très peu finalement. À moins d’avoir une espèce d’enquête, je vais dire n’importe quoi, sur un meurtre au centre d’énergie atomique ou à Minatech à Grenoble que tu connais bien, je n’ai pas trouvé un autre format que celui du livre à suspense pour rendre intelligible toutes les questions sur la technique, tout ce vocabulaire sur les bios et nanotechnologies dont la plupart des gens n’ont jamais entendu parlé, qui n’y connaissent rien parce que c’est un truc qui n’est pas vraiment débattu au niveau national, en tout cas pas suffisamment. Du coup ça oblige à avoir une forme plus « attractive », plus sexy même si je n’aime pas bien le terme, pour pouvoir aborder ces questions là, sans tomber non plus dans l’anticipation pure à la différence de Marketing viral, mon premier roman, qui parlait aussi des bios et nanotechnologies mais où j’étais plus dans l’anticipation. Pour Dans le ventre des mères, je voulais rester dans le polar pour accrocher le public du polar et lui parler de ces questions là.

Dans tes livres, il y a un thème qui revient souvent c’est celui du contrôle soit par le management, soit par le côté secte, soit par les nanos, etc.
La question qui est derrière ces bouquins là et c’est ma petite logique à moi, c’est à chaque fois le marketing comme outil de contrôle social. C’est ce qu’on résume avec Bernard Floris dans La vie marchandise, le marketing dans la manière dont il se saisit des consommateurs ou des citoyens. Ce que je traite en toile de fond dans La guerre des vanités autour des suicides d’adolescents est quel est cet univers de consommation qui fait, qu’à un moment donné, il y a des gamins, c’est un fait social réel, qui se suicident ? Et ce de plus en plus jeune alors qu’ils vivent dans une espèce d’opulence qu’aucune génération n’a jamais connu, ce qui est sûrement lié évidemment. D’un autre côté les méfaits du marketing et son influence, le marketing comme outil d’organisation de la société et de la consommation et comme outil d’organisation du monde du travail avec les théories managériales, ça c’est ce que j’exporte dans Les visages écrasés. D’une certaine façon je parle de ça aussi dans Le ventre des mères où on est dans l’entreprise mais plus dans les aspects développement, recherche et tout ça avec la question de comment cet univers technicien est dès le départ, dès les phases en amont de la recherche, complètement structuré par toutes ces espèces de logique marketing, ces mécaniques de rationalisation, de rentabilité, etc.

Et le dernier No more Nathalie, que je n’ai pas lu ?
No more Nathalie, c’est un peu une parenthèse par rapport à ces questions de fond. J’ai écrit une fiction sur la mort réelle de l’actrice Nathalie Wood en 1981 par noyade dans la baie de Los Angeles. J’avais envie de m’amuser autour de cette thématique là parce qu’il y avait Hollywood, il y avait des personnages, des figures un peu connues comme Robert Wagner, Christopher Walken dedans. J’avais besoin de travailler sur la forme, sur le format novella, nouvelle parce que c’est quelque chose que je découvre, qui n’est pas simple. J’ai tendance à écrire trop long donc j’apprends à écrire court, c’était un super exercice pour ça, j’ai beaucoup bosser dessus. Je me suis fait  vraiment plaisir mais c’était aussi un exercice de style parce que c’est aussi une collection avec un état d’esprit… d’ailleurs dans la collection il y a le fantastique bouquin de Franz Bartelt, Parrures qui est absolument génial, c’est l’histoire d’une femme qui dépense toutes ses allocations chômages et sa caf pour acheter des tissus et coudre des vêtements complètement dingues à son gosse. On lui coupe ses allocations, elle est complètement effondrée pas parce qu’elle n’a pas de sous mais parce qu’elle ne peut plus être dans cette consommation dont elle est pourtant déjà exclue au départ parce qu’elle est au chômage. C’est un petit bijou, c’est dans la droite ligne de bouquins de Perec sur ces questions là, c’est vraiment très bien fait sur les méfaits de la consommation. Il y a aussi le livre de Marcus Malte qui s’appelle Cannisses que je ne résume pas mais qui est très bon…

Tu parlais d’un livre sur le Pays basque ?
Mon prochain bouquin c’est un bouquin qui s’appelle pour le moment L’homme qui a vu l’homme qui va sortir dans longtemps, en janvier 2014. C’est un roman noir qui part en fait d’un fait divers et qui s’intéresse à la question de la torture au Pays basque français, espagnole à partir du milieu des années 2000 par des policiers espagnols ou par des barbouzes ou par des résurgences des GAL… enfin il y a tout un débat au Pays basque là-dessus qui est important même si on n’en entend très très peu parler au niveau national, c’est le sujet du prochain livre…

Quelles sont tes influences ?
Je n’ai pas d’influence mais j’ai lu, il y a maintenant un an, un bouquin fantastique de Donald Ray Pollock qui s’appelle Le Diable, tout le temps. Et ensuite son recueil de nouvelles qu’ils ont ressorti qui s’appelle Knockemstiff qui est vraiment une grosse grosse claque. Je cite tout le temps aussi GB84 de David Peace sur la grève des mineurs en1984-85 et la répression par Margareth Thatcher de cette grève des mineurs. C’est une référence, c’est un monument ce bouquin. Être capable d’avoir une intrigue, de nous raconter une histoire et de pouvoir, mieux qu’un historien, nous parler de l’expansion de l’ultra libéralisme qui a démarré de manière très violente en Angleterre dans ces années là. Cet ultra libéralisme qui nous nous est arrivé dessus avec Sarkozy une vingtaine d’année plus tard, même s’il y avait déjà des dégâts entre temps, Sarkozy faisant le boulot en France que Thatcher avait fait dans les années 80 en Angleterre. Bref ce livre est éblouissant.

Bibliographie des livres de Marin Ledun dont on parle dans cet entretien :
Marketing viral, Au Diable Vauvert, 2008
La guerre des vanités, Gallimard, Série noire, 2010
Les visages écrasés, Le Seuil, 2011
Dans le ventre des mères, Ombres noires, 2012
No more Nathalie, In8, Polaroïd, 2013
La vie marchandise, co-écrit avec Bernard Floris, éditions La Tengo, 2013

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