Nous suivons Hachim, jeune habitant de Seine Saint-Denis, bon élève, rêvant de devenir journaliste mais aussi montant les échelons dans le milieu du deal de cannabis, nous suivons Hachim mais aussi tout un petit monde qui peuple la cité, la famille de Hachim, ses amis, des petites frappes, des flics plus ou moins pourris. Rachid Santaki sait nous intéresser à eux, sans jugement, chacun cherchant surtout à survivre, à gagner de l’argent. Nous sommes dans un monde capitaliste libéral, l’auteur nous décrit avec minutie les mécanismes de la vente, de la concurrence, comme dans une entreprise classique avec des méthodes un peu plus expéditives, cette bataille économique se fait entre gangs, mais aussi avec les forces de l’ordre, la limite de la loi est toujours floue comme est floue la différence entre l’intérieur de la prison et l’extérieur, c’est dans cet univers confus que se débat Hachim et l’auteur sait nous faire partager la tension qui se crée en lui entre désir d’extérieur, d’évasion et fidélité à ses amis, à l’univers dans lequel il a grandit.
On a l’impression d’être un guetteur au pied d’un immeuble, et les articles de journaux qui strient le livre comme pour nous signifier que tout ça est basé sur une réalité semblent du coup superflu, ce que le roman raconte sera toujours plus réel que ces articles.
Au départ l’intrigue policière paraît secondaire, comme une trame de fond derrière cette galerie de portraits, puis les différents fils narratifs se resserrent habilement, nous emportent sans qu’on s’en rende compte. Surtout que l’écriture est fluide et directe, l’auteur a le sens du rythme, il sait aussi utiliser l’argot sans que ce soit caricatural. Alors que nombres d’auteurs se cassent les dents sur la transcription du langage parlé, nous plongeant dans l’ambiance du parlé de la rue et des quartiers populaires sans en faire trop, il se tient là aussi à la bonne distance.
« Le banc, le mur ; le mur, le banc. Moi en GAV ? J’éclate de rire. Ce qui m’arrive, c’est impossible. Je ferme les yeux, les rouvre. Je recommence. Je suis en plein cauchemar carcéral. Je comprends que c’est réel au bout de la vingt-troisième fois, quand un connard hurle dans la cellule mitoyenne : « je suis innocent ». « Ta gueule, on est tous innocents ! ». Le temps s’allonge. Je deviens ouf. Hunter vient me chercher, je passe devant le bureau où les flics prennent les dépositions, des policiers en civil aux dégaines de monsieur tout le monde. J’en croise un qui m’est familier. Il baisse brusquement la tête. Mais je le connais, il vient pécho régulièrement à la cité. Hunter m’installe sur une chaise. Il m’enlève les pinces. Je ne dis rien.
– Alors Hachim, c’est à qui la résine de cannabis ? »
Un chapitre étrange se trouve au centre du livre, le héros et d’autres voyous de la cité participent à un combat de chiens dans un château de la haute bourgeoisie. Sans que ce soit souligné, ces combats de chiens sont une belle métaphore de l’histoire, ces jeunes qui s’affrontent, s’entre-tuent pendant que la bourgeoisie continue de s’enrichir, de s’amuser, loin, très loin des cités de Seine Saint-Denis.
Des chiffres et des litres de Rachid Santaki, Éditions Moisson Rouge, 2012
Des chiffres et des litres de Rachid Santaki
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