Je rencontre Luna Satie à la Cambuse de Valence. On l’imagine facilement personnage de son roman A la recherche de Rita Kemper, entre nonchalance et nervosité.
BM : comment es-tu arrivée au roman noir?
Luna Satie : c’est une de mes grosses lectures depuis que je suis jeune, j’ai commencé à douze ans en lisant Mortelle Randonnée de Marc Behm et c’est vraiment le roman noir, plus que le polar, le policier, c’est le roman noir strictement qui m’intéresse. C’est un univers dans lequel je me sens bien, alors j’écris là dedans. Je ne peux pas écrire quelque chose de blanc, ce sera forcément un peu noir, un peu toutes les couleurs mais surtout noir…
BM : c’est ton premier…
LS : c’est mon premier roman, j’écris depuis que je suis gamine, c’est la première fois que je tiens vraiment une histoire de A à Z, c’est le seul roman que j’ai écrit et publié…
BM : par rapport à la thématique de ce livre, est-ce qu’il y avait une volonté de jouer avec le mythe, le cliché de la rock star…
LS : Tout à fait, de jouer avec toutes les figures, les figures imposées, le batteur alcoolique, la rock star déjantée et mal dans sa peau, le bassiste complètement… Toutes les figures, avec cette idée de vente de l’âme qui est une allégorie, de toute façon, ce roman c’est une allégorie sur la création, sur la douleur que ça engage, mais qui n’est pas la douleur d’écrire mais la douleur de supporter d’avoir crée et d’avoir montré ses tripes à tout le monde…
BM : Tu as mis l’histoire dans le futur pour ne pas avoir à…
LS : En fait, je l’ai mise dans le futur pour qu’on puisse se dire que cette histoire pourrait arriver. En même temps, j’ai surtout cumulé tout ce qui était arrivé à des groupes différents, les interdictions de vente au moins de dix huit ans qui ont eu lieu pour le deuxième album de Nirvana, la présence du FBI au concert, les pressions très fortes surtout sur les groupes engagés et c’est pour donner l’impression que si on fait pas gaffe, ça pourrait arriver, et en même temps, c’est quand même du délire, je me suis lâché avec des limites de réalité plus très pertinentes, je me suis vraiment lâché. En fait je pense que quelque part cette histoire est plutôt déjà arrivée qu’elle ne va arriver, je l’ai écrite bien avant toute l’histoire du 11 septembre et ce qui a suivi, et j’ai l’impression que c’est en train d’arriver dans un sens beaucoup moins grave et spectaculaire mais ça arrive quand même.
BM : Et le personnage… en tant que rockeuse en quoi est-elle rebelle ? Par elle-même ? En quoi est-elle dangereuse pour la société ?
LS : Je dirais parce qu’elle est incontrôlable. Quelque part elle a été crée de toute pièce par ce système auquel elle s’oppose mais elle a été crée par la répression familiale et la pression des médias, elle est en marge donc elle est difficilement gérable… C’est pas une pose de rébellion mais une attitude profondément personnel d’insoumission…
BM : Et en face de ce personnage là, vous avez mis une héroïne plutôt passive…
LS : Mary Blacke c’était pour, comment dire, faire quelque chose d’un peu paradoxal. Cette femme qui a beaucoup de choses à reprocher à Rita Kemper pour des raisons personnelles parce que son mari était très lié à cette femme, c’était prendre à la base quelqu’un qui n’a rien à voir avec le rock et le faire découvrir cet univers, et lui faire comprendre, se rendre compte finalement qu’elle est aussi rock’n’roll que Rita Kemper. Elle a ce même germe dans son sang qu’elle a réprimé, elle est rentrée dans une sorte de routine, une routine de couple, une routine de vie, de journalisme quelque part qui ne lui plait pas du tout et elle s’en libère, même en passant par des évènements dramatiques et difficile à vivre, elle se libère en même temps. Ces dernières heures sont peut-être dures mais en même temps elles sont plutôt fortes…
BM : Ce que je préfère dans le livre c’est ce personnage là, son ironie, son incrédulité.
LS : Quelque part elle a une distance qui est raisonnable, j’ai essayé de faire en sorte de ne pas montrer ce groupe comme quelque chose de trop idéalisé en leur faisant une histoire super sublime très extraverti, etc., etc. Je pense que les artistes sont plutôt responsables du travail qu’ils font et ils ont un impact qui est réel sur ce moment où on forme nos idéaux entre 15 et 25 ans. Mais oui Mary Black me permettait de mettre une distance par rapport à cette histoire mais finalement elle fini par être convaincue, elle commence très incrédule mais elle finit par être convaincue et regretter d’avoir eu un doute là dessus…
BM : C’est quoi qui est venue en premier quand tu as commencé à travailler ?
LS : J’ai lu une nouvelle qui se passait dans le château Marmand qui racontait l’histoire d’un scénariste qui devait bosser sur l’affaire Charles Manson et réécrire une histoire sur un massacre et je me suis dit tiens si pour une fois une rock-star avait vraiment fait quelque chose de contraire à la loi, à l’éthique et tuait ses propres fans, et comment les gens réagiraient, le titre m’est venu immédiatement à la recherche de Rita Kemper, ça ne pouvait pas être autre chose, j’avais repris Rita parce que c’était Rita Hayworth, l’actrice et en même temps Sainte Rita, la reine, la sainte des désespérés et des suicidés qui correspondait bien et puis Kemper pour le psychopathe qui découpait ses victimes qui correspondait bien, c’était un peu un jeu à la Marylin Manson, Rita Kemper, c’était pour rigoler, enfin pour rigoler, je ne sais pas si c’est le bon terme…
BM : au niveau de l’écriture, est-ce qu’il y avait une volonté d’écriture rock, avec une alternance lenteur, accélération ?
LS : Ha oui, complètement, une musicalité, je voulais vraiment qu’il y ait une musicalité dans ce roman, à la fin il fallait que je gère des indices, une intrigue qui est très lourde, donc ça demande de longs passages très descriptifs, très explicatifs qui était plus ou moins difficiles à gérer. Maintenant il y a des moments quand je commence à faire intervenir les textes de Rita Kemper au sein même du roman, sans les annoncer, en les coulant dans le récit et d’accélérer l’action par moments, de faire des ellipses bien tombées, de balancer directement le lecteur dans le truc, oui c’était vraiment pour qu’il y ait une musique, et que cette musique soit vraiment… Tout devait être musicale, l’écriture devait être musicale, la narration devait être musicale, le comportement… Tout devait être spectaculaire, théâtralisé…
BM : Dans la construction globale, il me semblait qu’il y avait une montée au départ ensuite il y avait un moment explicatif et après ça repart…
LS : Exactement, une volonté que ce soit nerveux au départ, un petit moment de, comment dire… pour faire avancer l’intrigue… Le prochain je n’aurais pas une intrigue aussi lourde, mais là je n’avais pas trop le choix, j’avais beaucoup de personnages concernés, c’est vrai que c’est à la fois fantastique, c’est à la fois une conspiration, c’est essentiellement pour le délire, pour le fun. En même temps je voulais donner l’impression que ça s’était calmé, finalement ça pouvait se gérer cette histoire et à la fin une montée très brutale et très… pour que la chute soit dure.
BM : Et aussi sur l’écriture, il y a toujours une légère distance qui est assez proche du personnage principal, est-ce que c’était volontaire ? une mise à distance du lecteur au départ pour ensuite l’impliquer plus…LS : C’est tout à fait juste. En fait, au début elle est en plein deuil, elle a tendance à se tenir à distance de tout et même la façon dont elle raconte l’histoire au lecteur elle a tendance à ne pas parler de ce qu’elle ressent et petit à petit elle se met à se lâcher effectivement, elle se met à parler de ses concerts, elle se met à parler de son ressenti par rapport à son mari qui est mort et elle devient un peu plus sympathique au fur et à mesure des lignes, c’est vrai qu’au départ… Quand j’ai commencé à écrire ce perso, je me suis dit mais elle est imbutable cette fille, c’est une tête à claque pourtant elle a du caractère et elle finit par… Je pense que dans les dernières pages, elle est vraiment émouvante.
BM : Et sinon pour revenir pour en revenir à une question plus globale. Est-ce qu’il y a d’autres influences qui t’ont marqué…
LS : Dans les influences ? De roman noir… Dans les français au niveau écriture, au niveau qualité d’écriture, j’aime bien Jean-Bernard Pouy ou Tonino Benacquista je le trouve drôle et bon scénariste, bon narrateur, j’aime bien Dantec, un peu moins maintenant, j’aimais beaucoup Les racines du mal, je trouvais que c’était une histoire efficace, ça partait en vrille… c’était bien. Je lis pas mal de choses, en ce moment, je lis un peu moins de roman noir, beaucoup de sf aussi en fait, Richard Matheson, Bradburry, des grands classiques, Connie Willis… et en ce moment c’est plutôt retour au source John Fante, Bukowski, des mecs comme ça.
BM : Est-ce qu’il y avait une volonté de mélanger le fantastique, l’anticipation très proche et le roman noir…LS : En fait c’était pas forcément une volonté, j’avais envie de m’éclater donc effectivement de donner une dimension un peu fantastique à une histoire tout en laissant le choix au lecteur de voir comme il en a envie, il peut se dire que cette Mary Black elle est tellement shootée à l’état normal que tout ce qui se passe à la fin c’est du délire. Le côté science fiction c’était une volonté propre de décaler en fait, de me dire bon ça pourrait se passer, effectivement ce côté anticipation mais pas trop marqué parce que j’ai pas assez de connaissance scientifique et sociopolitique pour vraiment inclure un décalage brutal, quelque part je parle du monde dans lequel on vit et qui est déjà là et qui a toujours été là, les réactions du monde politique vis à vis du rock qui ont toujours été les mêmes en fait un rejet pour cette contre culture très forte et très influente. Et puis le fantastique c’était pour parler de thèmes qui m’intéressent que je trouve très poétiques, de l’histoire de vendre son âme depuis Robert Johnson au fameux Crossroad qu’on voit au début du film des frères Cohen O’Brother, ce fameux musicien qui disait qu’il s’était mis un jour au croisement d’une route et un homme en noir était venu qui l’avait écouté chanter, l’homme en noir a ensuite pris sa guitare, a chanté lui-même, à partir de là il est devenu un musicien sublime parce qu’il avait vendu son âme au diable et ça c’est une légende qui est là depuis toujours, et j’étais obligé d’en parler et il y a beaucoup de référence filmique Phantom of The Paradise de De Palma, Angel Heart qui est un super bon roman noir qui s’appelle Sabbat à Central Park et qui a donné Angel Heart qui est un très bon film, un peu tout ça, cette ambiance très noir et décalé de la réalité.
BM : Comment tu te situes dans le monde du roman noir actuellement ? Est-ce que tu as l’impression qu’il y a une famille, des groupes ?
LS : Quand on vient ici à Valence par exemple on a un sentiment de famille, je suis très çà l’aise, je suis arrivée hier je savais pas trop comment faire, c’était mon premier festival et là vraiment on rencontre des personnes très intéressantes, très sensées, très sympathiques maintenant comme dans toutes les familles il y a des disputes, des chapelles aussi, on peut choisir, et dans des festivals comme Valence, pas Serial s’abstenir à Besançon ou Vienne, Frontignan, des trucs assez décontractés, c’est vraiment très sympathique. Même chose pour les sites internets style mauvais genre ou les petits fanzines qui existent qui sont bien gérés avec des rédactions sérieuses et intéressantes, tout ça, ça me plait, c’est quelque chose qui est spécifique au noir, on trouve un peu moins dans la blanche qui a des impératifs soi-disant littéraires sont pas suivis en fait, je trouve ça trop monochrome, un peu triste, je suis contente parce que le polar, je trouve que c’est un univers qui est sympa et agréable donc maintenant ça reste des éditeurs après et surtout quand on est chez un gros éditeur parisien, il y a des à priori par rapport à ça et moi c’est vrai, je suis arrivé à la Série Noire, je connaissais personne, j’ai envoyé mon manuscrit, j’ai été prise, je vivais en Province, j’y vis toujours et je reste quelqu’un dans une situation précaire, c’est mon premier roman, tout reste à faire, le monde de l’édition m’a dégoutté par contre, les attachés de presse, les trucs comme ça, ça ne me plait pas du tout, du tout, mais je pense que ça plait à aucun écrivain, par contre le contact avec les lecteurs, et avec les autres écrivains du noir dans un festival comme celui là, il n’y a aucun problème…
BM : Et comme projet, il y a des choses déjà ?
LS : Dans les projets, il y a plusieurs choses. Je travaille avec le CRDP d’Amiens au conservatoire de musique actuel et on est en train de créer un CD-rom sur tout ce qui est musique rock des années 50 à maintenant que je vais intégrer à la narration d’une bande dessinée, bande dessinée que je vais créer avec un dessinateur avec lequel je bossais déjà sur un projet cyberpunk gothique un peu baroque, ce projet là ça fait six ans qu’on bosse dessus mais on l’a toujours pas lancé, on fait chacun notre truc dans notre coin mais on sait qu’un jour on y arrivera, le scénario est écrit, tout est fait il n’y a plus qu’à dessiner, c’est un projet de longue haleine… Et en même temps au niveau roman, un roman noir, une histoire sur laquelle je travaille depuis cet été et où j’ai un peu écrit mais où je ne trouve pas encore mes marques, je change de monde, je change de pays, ça se passe entre la France et l’Angleterre, parce que j’ai vécu à Londres à une période et je vais parler un peu de tout ça et ça va être une histoire très particulière, un peu mélange fantastique encore mais vécu d’une tout autre manière qu’à la Recherche de Rita Kemper et ça ne parlera pas de rock’n’roll ce coup-ci… Enfin peut-être un peu quand même…