Est-ce que les aveugles sont plus malheureux que les sourds ? d’Alain Gagnol

Une bande de jeunes à la sortie de l’adolescence, avant l’entrée dans le monde adulte, soit la description d’un passage de la grisaille à la grisaille. Ce groupe traîne de beuveries en soirées ennuyeuses, de bastons en baises saumâtres. Les coups pleuvent sans raison, la haine jaillit d’un rien, pour tromper l’ennui. Un vague projet de meurtre sur l’amante du héros tient lieu d’occupation, d’excitation molle.
Comme pour ses autres romans, Gagnol conte l’histoire d’individus pour qui c’est déjà trop tard, pour qui la vie est bloquée par des rémanences du passé, de l’enfance et qui luttent pour s’en sortir, pour renaître en eux-mêmes. Le style renforce cela, avec des phrases courtes, heurtées, une impression de répétition, une difficulté à avancer avec quelques envolées, comme des trouées dans ce monde étouffant. Le vocabulaire est volontairement limité, tout en étant comme toujours avec Gagnol, très précis, les dialogues sont extrêmement réalistes et vivants dans leur absurdité et leur désespoir caché.
Pour les descriptions, on tend aussi à l’abstrait, des cubes, des blocs de béton qui pourraient être posés n’importe où, traversés de lignes, les rails d’un train, promesse d’un ailleurs peut-être meilleur, loin de l’enfermement, loin de cette vie désespérante. Mais ce ne sont que des espoirs vains, les « expatriés » ne semblent guère plus heureux, pour échapper à la stagnation, le seul chemin ne peut qu’être intérieur. L’épure du style de Gagnol prend alors tout son sens, colle à cette idée de rédemption, se débarrasser des scories pour aller au plus important.
Est-ce que les aveugles sont plus malheureux que les sourds ? d’Alain Gagnol, La Noire, Gallimard, 2000

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